À propos de l'épisode
Nous avons souhaité aborder le sujet de la souffrance au travail, car c’est un sujet finalement assez mal connu. De quoi parle-t-on quand on parle de souffrance au travail ? qu’est-ce que ça recouvre ?
La souffrance au travail est un thème finalement assez récent. Il s’est imposé assez violemment dans le débat public avec la série de suicides qui a lieu de 2006 à 2011 chez France Télécom, suite à l’introduction de nouvelles méthodes de management. La santé au travail n’est plus seulement une question d’hygiène et de sécurité, mais elle est aussi affaire de « risques psycho-sociaux ».
Alors les risques psychosociaux, qu’est-ce que c’est ?
Ce sont, je cite : « les risques pour la santé mentale, physique et sociale engendrés par les
conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec
le fonctionnement mental »
. En gros, ce sont les risques qui viennent de facteurs d’ordre social
et/ou psychologique et qui produisent du stress, de l’incertitude, du malaise et du mal-être. ça
permet aussi de voir l’activité un peu différemment : ce n’est pas seulement ce qu’il y a sur la
fiche de poste ! (différence travail prescrit / travail réel)
Cette définition vient du rapport « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser » qui fait encore aujourd’hui référence dans la matière. Il est aussi appelé « Le rapport Gollac » (parce qu’il a été dirigé par Michel Gollac, sociologue spécialiste des conditions de travail, avec sa compère Marceline Bodier qu’on oublie souvent de citer…). Publié en 2011, ce rapport a été commandé par le Ministère du travail, de l’emploi et de la santé, notamment en écho à l’affaire de France Télécom…
Ce rapport a le mérite de définir précisément 6 grands familles de risques psychosociaux (on dit aussi RPS) :
- l’intensité et la complexité du travail ;
- les exigences émotionnelles ;
- le manque d’autonomie et de marge de manœuvre ;
- la mauvaise qualité des rapports sociaux au travail ;
- les conflits de valeur ;
- l’insécurité de la situation de travail.
Et il y a une 7e famille qui est un peu en décalage par rapport aux autres qui concernent la qualité des dispositifs de prévention mis en place par l’entreprise.
Karl - Est-ce que tu peux donner des exemples pour qu’on visualise un peu mieux ce dont il s’agit ?
Ok alors pour préciser un peu :
L’intensité et la complexité du travail, c’est tout ce qui va concerne la charge de travail (densité des tâches à effectuer, organisation du temps de travail, durée de la journée de travail…) ce qui faut retenir : la surcharge de travail est un facteur de risque, mais la sous-activité aussi ! Et on regarde aussi la conciliation du temps de travail avec le hors travail.
Les exigences émotionnelles (relation au public, contact avec la souffrance, devoir cacher ses émotions, peur…)
Le manque d’autonomie et de marge de manœuvre (prévisibilité du travail, répétition et monotonie, ennui… ce qui concerne le plaisir au travail ; attention l’autonomie sans les moyens derrière, c’est un facteur de RPS – typiquement le “pas de leader”, ou l’organisation purement horizontale)
La mauvaise qualité des rapports sociaux au travail (représentation des rapports sociaux au travail : reconnaissance, équité, intégration ; relations avec les collègues : participation au collectif de travail ; avec la hiérarchie : appréciation du travail, soutiens, relations humaines… mais aussi rémunération et carrière, évaluation du travail… violence interne, valorisation sociale du métier)
Les conflits de valeur (conflits éthiques, qualité empêchée, travail inutile…)
L’insécurité de la situation de travail (sécurité de l’emploi, du salaire, de la carrière, soutenabilité du travail, changement permanent)
Karl - et du coup, les caractéristiques individuelles (personnalités, trajectoires perso…) ne jouent pas de rôle là-dedans ?
Alors si, mais en réalité très peu, et c’est rarement déterminant.
C’est tout l’apport notamment des études portant sur le handicap (les disable studies) qui comprennent la situation de handicap comme le résultat d’un processus social intéractif et qui mettent l’accent sur le caractère handicapant de l’environnement et non sur les déficiences individuelles. Ça permet aussi de sortir de la responsabilité qui serait purement individuelle (c’est à cause de Mme X, elle est relou) et des relations interpersonnelles pour penser une responsabilité collective et agir sur les structures.
Pour finir notons juste que des controverses existent.
Si l’identification et la reconnaissance des risques psychosociaux sont utiles pour connaître l’état de santé d’une organisation et qu’elles incitent les organisations à formaliser des objectifs et des procédures claires, l’identification de grandes familles de RPS va aussi avec des démarches de prévention des risques qui bien souvent ne traitent qu’à la marge les problèmes d’organisation et vont rarement jusqu’à la racine des problèmes.
Il y a des ergonomes qui pour exprimer cela utilisent l’image du “nuages toxiques”. Et la prévention ce sont les masques à gaz…. mais rien n’est fait pour faire disparaître le nuage toxique.
Les politiques de Qualité de vie au travail qui émergent depuis quelques années dans les entreprises sont censées répondre à cette insuffisance en proposant de partir de l’activité, et donc d’une réflexion sur le travail effectué et sur sa qualité (ce qui fait qualité)...
Bon, je m’arrête là pour ne pas être trop longue, mais ça me semblait important de représenter ce cadre qui pourra peut-être aider certains salariés et représentants d’association à être vigilants aux facteurs de risques que peut favoriser leur organisation.
Ressources
- Pascale-Dominique Russo, Souffrance en milieu engagé : Enquête sur les entreprises sociales, Faubourg, 2020. https://editionsdufaubourg.fr/livre/souffrance-en-milieu-engage
- Michel Gollac & Marceline Bodier, « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser », rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du Ministre du travail, de l’emploi et de la santé - https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf
- Patrick Pozo, « ESS et innovation managériale, l’expérience de l’association GRIM : élaboration collective de la décision pour prévenir la souffrance au travail », Institut ISLB - https://institut-isbl.fr/ess-et-innovation-manageriale-lexperience-de-lassociation-grim-elaboration-collective-de-la-decision-pour-prevenir-la-souffrance-au-travail/
- Les couleurs de l’accompagnement : Union de 8 associations dont GRIM pour mutualisation, échanges d’expérience, actions de communication contre la stigmatisation du trouble psychique ( « Et alors ») - https://www.lescouleurs.fr/qui-sommes-nous/
- Réhabilitation psychosociale : Campagne « Et alors » des couleurs de l’accompagnement (exposition virtuelle) - https://centre-ressource-rehabilitation.org/exposition-virtuelle-et-alors
- « Convention relative aux droits des personnes handicapées », Nations Unies, Droits de l’Homme, Haut-Commissariat - https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/conventionrightspersonswithdisabilities.aspx
- Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) - https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000394028/
- URIOPSS Auvergne-Rhône-Alpes : représente les associations sanitaires et sociales, assume, un rôle de pont et d’interpellation des pouvoirs publics, développer la représentation politique des associations, partage de l'expertise, formations, évènementiels et supports de communication - https://www.uriopss-ara.fr
- CREAI Auvergne-Rhône Alpes : forme, observe, accompagne les professionnels du médico-social sur le handicap, la protection de l'enfance et la gérontologie. http://www.creai-ara.org
- Agence Nationale pour l’Amélioration des conditions de travail (Anact) : Agir pour une prise en compte systématique des conditions de travail, Développer et proposer des méthodes et outils éprouvés, Diffuser ces méthodes et outils, Conduire une activité de veille et d’étude sur les enjeux et les risques - https://www.anact.fr