► Épisode 4

La souffrance au travail dans le secteur associatif, un sujet tabou ?

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Être salarié-e dans le monde associatif est bien souvent perçu comme une chance inestimable. Il est rare d’avoir un cadre qui permette de trouver du sens dans son travail, et le secteur associatif semble le lieu privilégié pour faire coïncider sa vie professionnelle avec ses engagements militants.

Pourtant, la réalité est souvent bien moins rose… la précarité croissante du secteur va de pair avec l’expression d’un mal-être persistant parmi les 1,8 million de salariés que compte le monde associatif. Absentéisme, épuisement professionnel, défection… on y retrouve l’ensemble des symptômes de la souffrance au travail.

Comment expliquer que des structures qui se disent si sensibles aux principes démocratiques et à la justice sociale se trouvent aussi démunies face à leur fonction d’employeur ? Quels sont les outils pour prévenir ces situations de détresse ?

Pour parler de ce sujet, nous avons donc le plaisir d’accueillir Patrick Pozzo, de l’association GRIM, et Pascale Dominique Russo, autrice de Souffrance en milieu engagé.

Enregistré le
9 septembre 2021
Réalisation par
Reha Simon, synchrone.tv
Sur une musique de
Sounds of Nowhere - “It Goes On...”
Vous pouvez utiliser ce contenu sous licence
Creative Commons Attribution (2.0)

À propos de l'épisode

Nous avons souhaité aborder le sujet de la souffrance au travail, car c’est un sujet finalement assez mal connu. De quoi parle-t-on quand on parle de souffrance au travail ? qu’est-ce que ça recouvre ?

La souffrance au travail est un thème finalement assez récent. Il s’est imposé assez violemment dans le débat public avec la série de suicides qui a lieu de 2006 à 2011 chez France Télécom, suite à l’introduction de nouvelles méthodes de management. La santé au travail n’est plus seulement une question d’hygiène et de sécurité, mais elle est aussi affaire de « risques psycho-sociaux ».

Alors les risques psychosociaux, qu’est-ce que c’est ?

Ce sont, je cite : « les risques pour la santé mentale, physique et sociale engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». En gros, ce sont les risques qui viennent de facteurs d’ordre social et/ou psychologique et qui produisent du stress, de l’incertitude, du malaise et du mal-être. ça permet aussi de voir l’activité un peu différemment : ce n’est pas seulement ce qu’il y a sur la fiche de poste ! (différence travail prescrit / travail réel)

Cette définition vient du rapport « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser » qui fait encore aujourd’hui référence dans la matière. Il est aussi appelé « Le rapport Gollac » (parce qu’il a été dirigé par Michel Gollac, sociologue spécialiste des conditions de travail, avec sa compère Marceline Bodier qu’on oublie souvent de citer…). Publié en 2011, ce rapport a été commandé par le Ministère du travail, de l’emploi et de la santé, notamment en écho à l’affaire de France Télécom…

Ce rapport a le mérite de définir précisément 6 grands familles de risques psychosociaux (on dit aussi RPS) :

  • l’intensité et la complexité du travail ;
  • les exigences émotionnelles ;
  • le manque d’autonomie et de marge de manœuvre ;
  • la mauvaise qualité des rapports sociaux au travail ;
  • les conflits de valeur ;
  • l’insécurité de la situation de travail.

Et il y a une 7e famille qui est un peu en décalage par rapport aux autres qui concernent la qualité des dispositifs de prévention mis en place par l’entreprise.

Karl - Est-ce que tu peux donner des exemples pour qu’on visualise un peu mieux ce dont il s’agit ?

Ok alors pour préciser un peu :

L’intensité et la complexité du travail, c’est tout ce qui va concerne la charge de travail (densité des tâches à effectuer, organisation du temps de travail, durée de la journée de travail…) ce qui faut retenir : la surcharge de travail est un facteur de risque, mais la sous-activité aussi ! Et on regarde aussi la conciliation du temps de travail avec le hors travail.

Les exigences émotionnelles (relation au public, contact avec la souffrance, devoir cacher ses émotions, peur…)

Le manque d’autonomie et de marge de manœuvre (prévisibilité du travail, répétition et monotonie, ennui… ce qui concerne le plaisir au travail ; attention l’autonomie sans les moyens derrière, c’est un facteur de RPS – typiquement le “pas de leader”, ou l’organisation purement horizontale)

La mauvaise qualité des rapports sociaux au travail (représentation des rapports sociaux au travail : reconnaissance, équité, intégration ; relations avec les collègues : participation au collectif de travail ; avec la hiérarchie : appréciation du travail, soutiens, relations humaines… mais aussi rémunération et carrière, évaluation du travail… violence interne, valorisation sociale du métier)

Les conflits de valeur (conflits éthiques, qualité empêchée, travail inutile…)

L’insécurité de la situation de travail (sécurité de l’emploi, du salaire, de la carrière, soutenabilité du travail, changement permanent)

Karl - et du coup, les caractéristiques individuelles (personnalités, trajectoires perso…) ne jouent pas de rôle là-dedans ?

Alors si, mais en réalité très peu, et c’est rarement déterminant.

C’est tout l’apport notamment des études portant sur le handicap (les disable studies) qui comprennent la situation de handicap comme le résultat d’un processus social intéractif et qui mettent l’accent sur le caractère handicapant de l’environnement et non sur les déficiences individuelles. Ça permet aussi de sortir de la responsabilité qui serait purement individuelle (c’est à cause de Mme X, elle est relou) et des relations interpersonnelles pour penser une responsabilité collective et agir sur les structures.

Pour finir notons juste que des controverses existent.

Si l’identification et la reconnaissance des risques psychosociaux sont utiles pour connaître l’état de santé d’une organisation et qu’elles incitent les organisations à formaliser des objectifs et des procédures claires, l’identification de grandes familles de RPS va aussi avec des démarches de prévention des risques qui bien souvent ne traitent qu’à la marge les problèmes d’organisation et vont rarement jusqu’à la racine des problèmes.

Il y a des ergonomes qui pour exprimer cela utilisent l’image du “nuages toxiques”. Et la prévention ce sont les masques à gaz…. mais rien n’est fait pour faire disparaître le nuage toxique.

Les politiques de Qualité de vie au travail qui émergent depuis quelques années dans les entreprises sont censées répondre à cette insuffisance en proposant de partir de l’activité, et donc d’une réflexion sur le travail effectué et sur sa qualité (ce qui fait qualité)...

Bon, je m’arrête là pour ne pas être trop longue, mais ça me semblait important de représenter ce cadre qui pourra peut-être aider certains salariés et représentants d’association à être vigilants aux facteurs de risques que peut favoriser leur organisation.

Ressources

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