L'édito de Ludo
Vous savez, parfois, on a l’impression que toutes les assos se ressemblent. Un bureau. Un CA. Une AG. Des demandes de subventions et tout le tremblement. Ce que le Mouvement Occitanie appelle “le modèle traditionnel” dans son rapport sur les enjeux entre bénévoles et salariés. Tellement majoritaire que même ce rapport, pourtant critique des raisons qui créent cette situation, décide au final de ne s’adresser qu’à elles, comme la plupart des institutions. Et ça interroge : alors que la loi est énormément permissive et qu’elle est ancienne de 120 ans, pourquoi si peu de formes différentes, si peu de créativité ? Et bien, ça s’explique pour plein de raisons. Par exemple, des peurs qui circulent : attention, si vous faites une collégiale, la préfecture va vous refuser - ce qui est faux. Ça s’explique aussi parce que l’on s’inspire des modèles de statuts sur le net ou des assos que l’on connaît. Un autre moment important qui structure une asso, c'est ses premières embauches. Ou quand est nommée à la présidence ou dans le CAs des personnes qui sont aussi dans les organes de décisions d’autres associations ou institutions, avec leurs habitudes. Et enfin, tout ce qu’il faut faire pour rentrer dans les clous des subventions.
Et figurez-vous que ce phénomène de normalisation dans le temps à un nom : l’isomorphisme institutionnel. Iso ça veut dire “même” et morphisme ça veut dire “forme”. “Même forme” donc. Ca veut donc dire tout bêtement que plus des organisations “se développent et se taillent une place dans leur secteur d’activité, plus elles tendent à se ressembler les unes les autres”.
Disons qu’à partir de là on peut creuser plus profondément et en analyser les mécanismes. Cet isomorphisme institutionnel peut se découper en trois volets. Le chercheur Eric Bidet nous explique qu’il existe “Un isomorphisme normatif, un isomorphisme mimétique et un isomorphisme coercitif ”.
Je vais décoder ! La professionnalisation amène avec soi des pratiques, des codes, des normes, des profils de personnes et toutes ces influences vont normaliser petit à petit votre association et la rendre semblable aux autres. Par exemple, si votre association est composée d’éducatrices spécialisées, qui ont fait les mêmes écoles. Ou alors quand votre mère qui est comptable va s’occuper des comptes : tableur, plan comptable, procédures et tout le bazar. Ca, c’est l’isomorphisme normatif. L’isomorphisme mimétique nous dit que dans une situation où l’on ne maîtrise pas un sujet nous allons avoir tendance à imiter ce qui semble marcher ailleurs et donc se ressembler. Enfin, l’isomorphisme coercitif c’est le résultat des normes, contraintes et conditions que nous impose l'État. Par exemple la nouvelle loi d’avril 2024 qui impose désormais de déclarer les bénéficiaires effectifs de votre association. Et donc pour y répondre nous allons là aussi adopter les fonctionnements les plus adaptés à ces contraintes. Tout ça nous rabat petit à petit vers quelque chose de standardisé, compatible avec le reste de la société capitaliste. Et pire, cela opère souvent un “retour à la moyenne”, c'est-à-dire qu’une initiative qui a proposé quelque chose d’innovant va être ramenée petit à petit vers le centre de gravité.
Bon, mais sinon, je veux en venir où ? Je voulais en venir au fait que pour expérimenter des fonctionnements qui sortent de l’ordinaire il faut être sacrément motivé et être toujours prêt à lutter contre l’attraction du centre de gravité. Et que c’est probablement pour ça qu’en général on ne va pas toucher à notre gouvernance comme ça pour le plaisir. Et puis si on s’y met il faudra décider de la direction de cette transformation et de ses conséquences.
Et face à tout ça, on comprend bien que ça peut faire peur, que certaines personnes souhaitent ne pas se précipiter voire s’opposent frontalement au changement. Modifier sa gouvernance c’est prendre le risque que ça marche moins, c’est coûteux en énergie et cela peut faire remonter tout un tas de tensions que l’on préférerait garder sous le tapis ! Et ça évite de remettre en cause certains privilèges.
Mais parfois, des collectifs se jettent dans l’inconnu, prennent ce risque. C’est le cas de Brin de Paille dont on a le plaisir de recevoir deux membres aujourd’hui : Maïté et Benoit. À Brin de Paille se prend le pari de l’autogestion. “On verra en faisant” semble être leur crédo. L’association se place de fait dans une démarche de recherche action : un cycle permanent d’essais, d'analyses et de remise en question. Pire ! Personne ne sait où se situe la fin de ce processus et si ses membres l’atteindront. Alors, est ce qu’à Brin de Paille on ne serait pas un peu suicidaire ? Disons que ça semble en valoir les efforts car le but n’est rien de moi que mettre l’humain au centre et de construire une gouvernance à partir de là.
Pourquoi transformer et ne pas recréer à partir de rien ? La réussite d’un réformisme associatif est-elle soumise à des conditions ? Ne risque-t-on pas au final par se faire rattraper par l’isomorphisme et défaire petit à petit les changements que l’on avait opéré ? Comment transmettre les valeurs aux nouveaux membres ?
Autant de questions que nous allons aborder avec Maïté et Benoit dans ce nouvel épisode de question d’asso.