► Épisode 20

Salariat & autogestion, en pratique, ça donne quoi ?

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Le monde associatif fait partie des lieux privilégiés de l’innovation sociale. Le cadre réglementaire est assez souple pour laisser aux associations l’espace d’expérimenter, de tester, à différentes échelles, des actions pour faire société autrement.

Et les assos ne s’en privent pas… en particulier dans l’exploration des modes de prise de décision. Car, c’est bien à cet endroit que se trouve tout le nœud du fait associatif : comment s’associer, avec qui, dans quel cadre, pour faire quoi… et surtout : qui décide de tout ça ?

Quand tout le monde est bénévole, on le sent bien, le champ des possibles est grand – tout du moins sur le papier. Mais quand on est dans le cadre d’un contrat de travail, qui par définition repose sur un lien de subordination, quelle marge de manœuvre ça laisse ? Est-ce possible d’impliquer les salarié-es dans les décisions de l’association - qui les concernent au premier chef ? À quelles conditions ? … et le cas échéant, quels sont les risques de cette implication ?

Aujourd'hui, nous explorons ces questions avec le Planning familial 93, et ses représentantes Gaëlle et Alice.

Enregistré le
4 avril 2024
Réalisation par
Guillaume Desjardins, synchrone.tv
Sur une musique de
Sounds of Nowhere - “It Goes On...”
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Creative Commons Attribution (2.0)

La question d'expert

Salariés et instances de gouvernance

Fanny Binot, expert-comptable associée au cabinet Fidéliance, revient sur les conditions de participation des salarié-es aux instances de décision d'une organisation.

L'édito

Bienvenue à toutes et tous dans cet épisode où nous allons aborder un sujet qui a suscité beaucoup d'intérêt lors de la saison précédente : l'autogestion. Vous vous rappelez sûrement de notre discussion sur les épiceries autogérées. Cette fois-ci, on va poursuivre notre exploration de l’autogestion en examinant son rapport au salariat.

Alors pour rappel, les épiceries autogérées voient l’autogestion comme « l’absence de distinction entre dirigeants et dirigés » et donc autogestion et salariat c’est non – parce que, comme l’a rappelé Yaël, qui dit salariat, dit lien de subordination…

Voilà, sujet bouclé, fin de l’épisode.

Yael : oui mais qu’est ce qu’on dit aux 10 % d’associations qui ont des salariés ?

Et vous avez raison ! On a tous entendu parler de LIP, vous savez cette boite de montres que les salariés ont repris et qui se sont autogérés ? Ou de SCOP-TI où les salariés ont repris leur usine de thés « Éléphants ».

Mais… pour autant… en fait, côté militants, ça fait débat depuis 150 ans.

Alors, pour remettre un peu de contexte, cette idée de l’autogestion ouvrière elle vient des mouvements socialistes et anarchistes de la fin du 19e siècle. On parlait de « gestion ouvrière » ou « auto-gouvernement ». Le terme « autogestion » en fait lui il débarque dans les années 60 en France, il a remplacé les autres, mais en supprimant quelques subtilités au passage.

Au point où Marc Prevotel, un militant anarchiste, en 1981 met les pieds dans le plat : pour lui cette autogestion c’est le cheval de Troie du corporatisme, modèle fétiche du fascime et de l’ancien régime.

Aie aie aie.

Yaël : oulah… comment ça « l’autogestion est le cheval de troie du corporatisme ?? », faut que tu nous expliques là !

Okay, je développe.

On a Maurice Joyeux, un autre – joyeux – militant anarchiste,qui dans les années 80 aussi met en lumière un risque pour les salariés. Il dit : « Gérer une entreprise en commun alors que cette entreprise conserve ses structures de classe consisterait pour les ouvriers à gérer leur propre misère, leur propre exploitation. » Et on retrouvera là un petit air de la loi El Khomri.

Et puis ça fait quoi à l’échelle de toute la société ? Bakounine, théoricien anarchiste, à la fin du 19e siècle il disait déjà que la gestion ouvrière pouvait « créer au sein même des masses ouvrière une classe nouvelle d’exploiteurs.” Ce qu’il appelle « un bourgeois collectif exploiteur. » Et Bakounine il pensait pas ça tout seul dans son coin, non non. C’était un constat répandu que le second congrès de l’Internationale… mais si, vous savez ? Celle de la chanson ! « C’est la luuuute ». Hum..Ouais, vous voyez. Donc cette seconde Internationale en septembre 1867 déclare que les « efforts tentés par les associations ouvrières […] tendent à constituer un quatrième état ayant en dessous de lui un cinquième état plus misérable encore (la grande masse du prolétariat)» ».

Dans la même veine, en 2005, on a Gulli (alors, pas la chaîne pour enfant) mais Florent Gulli, professeur de philosophie, tendance communiste, qui enfonce le clou et nous demande qui décide dans un cadre autogestionnaire de ce qui doit être produit. Et il a sa petite idée, que je vous partage : « Certainement pas les seuls salariés de l’entreprise. Ni même l’ensemble des salariés de toutes les entreprises concernées par la production de tel ou tel objet. Car il est parfaitement envisageable que l’intérêt de ces salariés entre en contradiction avec ceux de la population […] ou la durabilité de l’environnement. »

Tout ça pour dire que, en gros, une fois que les salariés gèrent, est-ce qu’ils vont pas vouloir augmenter leurs privilèges et tant pis pour les autres ?

Alors, je vous entends : « Mais pour les assos, c’est pas pareil ! ».

Et bien moi je pense que si ! Et c’est même plus important encore pour les assos de savoir à quel moment des salariés pensent à eux avant leur mission.

Yaël : ouch, c’est dur de dire ça quand on voit la souffrance que produit le secteur associatif au nom de la mission associative…

Ah mais carrément. Mais la question reste, on a en tête le scandale de l’ARC dont le dirigeant s’est enrichi au détriment de la mission de la structure. La question se pose aussi pour ces petites assos qu’on connait bien, qui sont créées par quelqu’un pour se salarier et qui met son conjoint ou ses potes au bureau, pour faire beau. Ou enfin toutes ces assos qui embauchent, qui étaient pas préparées, et où le ou la salarié prennent les choses en main. Bon, vous avez compris, ça vaut aussi, et surtout, pour les assos.

Et l’État aussi il a compris. Et, fidèle à lui-même, il a légiféré, à la hache. Tu veux tes subventions ? Tu veux pas payer d’impôts ? Tu dois avoir une “gestion désintéressée”. Et pour savoir ça il cherche qui sont les dirigeants, et pas juste dans nos petits rapports écrits qu’on lui transmet mais dans les faits. Et est-ce que ces dirigeants auraient pas un petit conflit d’intérêt, genre un salaire par exemple ? Et puis il regarde si la gestion est démocratique, alors sans trop s’appesantir sur la définition d’ailleurs. L’idée en tout cas elle elle est cohérente, la réalisation elle, n’est pas très efficace et empêche probablement la créativité et l’émancipation dans les modes de gouvernance.

D’accord on a compris il faut penser à garantir l’intérêt général.

Mais au fait, c’est quoi l’intérêt pour les salariés ? Maurice Joyeux, encore lui, nous dit que pour avoir un vrai changement positif dans la vie des salariés autogérés il faut détruire six éléments : « les différences de rémunération, l’autorité qui excède le cadre de la tâche à accomplir, la répartition du profit de l'entreprise, la distribution d'une plus-value que le travail de tous a créée, les privilèges de l'encadrement, et enfin la propriété de l'entreprise. » Tout un programme quoi !

Alors, pour conclure, peut-on faire de l’autogestion entre salariés en association ? Est-ce une bonne idée ? Comment ne pas s’auto-aliéner ? Quels bénéfices pour les salariés ? Quels bénéfices pour la réalisation de leurs missions ? Quels gardes fous pour ne pas perdre de vue l'intérêt général ? Et en quoi l’autogestion permettrait de prendre mieux soin des salariés ?

Autant de questions que nous sommes ravis d’explorer dans cet épisode avec Gaëlle et Alice du planning familial.

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