► Épisode 13

Jusqu'où peut-on aller dans l'autogestion ?

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Imaginez une organisation qui tient toute seule, sans chef, voire même, soyons fous, sans paperasse administrative. Pas de travail à superviser, pas d’assemblées générales à préparer, pas de comptabilité à boucler. Une autogestion poussée à l’extrême, où chacune et chacun des membres est autonome dans ses prises de décisions, et la structure maintenue à l’écart du contrôle de tiers extérieurs, et pas des moindres : l’État, les banques, etc.

Dans un contexte toujours plus réglementé voire autoritaire, l’image laisse rêveur. Est-ce seulement possible ? En théorie, la forme associative est assez souple. Mais dans la pratique… comment s’assurer de la pérennité et de la « bonne santé » économique de son activité ? Comment garantir une équité d’accès à l’information à l’ensemble de ses membres ? quels organes mettre en place pour organiser le conflit et prévenir les abus ?

Aujourd'hui, nous explorons l'exemple des épiceries autogérées avec Coop'Lib, et son représentant Ludovic

Enregistré le
9 février 2023
Réalisation par
Guillaume Desjardins, synchrone.tv
Sur une musique de
Sounds of Nowhere - “It Goes On...”
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Creative Commons Attribution (2.0)

La question d'expert

Une association peut-elle fonctionner sans admin ?

Mathieu Castaings de la coopérative d’expertise comptable et de conseil FinaCoop, dédiée au secteur de l’ESS, répond à nos questions.

L'édito

Wow, alors, aujourd’hui, c’est du lourd ; Ludovic, tu nous sors de notre zone de confort !

Si vous avez l’habitude de nous écouter, vous aurez sous doute remarqué qu’avec Karl on est du genre « carré », pour ne pas dire un poil psycho-rigides sur les bords. On aime bien que les choses soient “structurées”… pire, on est de celles et ceux qui “structurent”, et ça nous arrive même d’être payés pour ça.

Dans nos assos, cela a donné lieu à des choix stratégiques radicalement différents : professionnalisation pour l’une, choix de rester dans une forme d’amateurisme (refus des prestations, de dépendre de toute subvention, et d’entrer dans une logique employeuse) pour l’autre.

Mais dans les deux cas, Karl tu me diras si tu en as la même lecture que moi, cela correspond à une volonté de clarification du mode de gestion et du statut… et d’éviter à tout prix les zones grises pour s’assurer d’être les clous.

Quand, dans l’épisode sur la fonction employeur et les obligations qu’on est en droit d’attendre de son employeur, Simon Cottin-Marx, sociologue (dont on attend avec impatience le prochain livre !!), nous a dit en substance – je tire le trait – « la loi c’est la théorie, dans la pratique, on fait ce qu’on veut », on était un peu en PLS avec Karl… mais comme vous le voyez, on se soigne, c’est justement pour ça qu’on fait ce podcast !

Pour revenir à l’autogestion, je tiens à préciser que le modèle que tu nous vas nous présenter Ludovic est assez particulier et radical dans sa forme. Pour commencer, l’autogestion n’est pas l’absence de gestion.

Pour reprendre un terme de l’historien Pierre Rosanvallon qui a écrit à l’époque où il était militant à la CFDT, en 1976, L’âge de l’autogestion : L’autogestion est l’exercice collectif de la décision. En d’autres termes, au-delà de « l’appropriation sociale » des moyens de production, il s’agit pour la classe ouvrière de contrôler les moyens de pouvoir.

Je parle de classe ouvrière à dessein. L’autogestion a connu son heure de gloire dans les années 1960-1970. Elle a été popularisée par la Yougoslavie communiste de Tito. Et en France, on garde l’image de l’expérience autogestionnaire de l’usine Lip (1973). L’autogestion, c’est avant tout sortir la classe laborieuse (comprendre : les gens qui travaillent) de l’aliénation capitaliste (comprendre : ceux qui vivent du travail des autres – propriétaires, actionnaires, etc.). Je ne résiste pas à vous partager cette citation d’un ouvrier de l’usine Lip que j’ai retrouvée dans l’émission À l’origine de l’autogestion : l’épopée des Lip sur France culture : l’expérience est très intéressante, vraiment, de vivre en homme libre dans l’usine.

Après, sur le comment, c’est assez libre en réalité. Les théoriciens – qui sont très hétéroclites – semblent s’accorder sur l’idée d’expérimentation, ce qui dit beaucoup de choses. Et notamment qu’il n’y a pas de structures prédéfinies, c’est aux collectifs de trouver leur organisation. Néanmoins, de nombreuses féministes, je pense à Jo Freeman dans le texte « la tyrannie de l’absence de structure » que nous avait présenté Margaux Langlois dans l’épisode « la démocratie est-elle le propre des assos », mais aussi plus récemment à Starhawk qui écrit beaucoup sur le sujet, ont alerté sur les risques d’absence totale de structure : abus de pouvoir, invisibilisation du travail réalisé (et notamment du « sale boulot », celui qui n’est pas visible de l’extérieur, et pas valorisé socialement), souffrance… ce n’est pas un hasard si dans la prévention des risques psycho-sociaux on parle souvent de la nécessité de FORMALISER les règles et les manières de faire (parce qu’il y en a toujours qui se reforme, même implicitement), c’est cette transparence qui permet de négocier, individuellement comme collectivement, les cadres de l’organisation.

Tout ça pour dire que quand on a reçu la proposition de Ludovic, forcément ça nous a interpellé :

  • le premier truc qu’on s’est dit, c’était “qui porte la charge mentale ?” en d’autres termes : qui fait tourner la boutique si rien n’est formalisé ? (d’ailleurs, on vous prépare un épisode sur la question !!),
  • et le second : “comment ça peut être légal au regard de toutes les contraintes administratives qui pèsent de plus en plus sur les assos ?” ( surtout que je crois que dans certaines de vos épiceries, il y a des salariés ! )– et pour ça on est très heureux d’avoir Mathieu pour nous éclairer un peu.

Bref, Ludovic, comme tu vois, on a beaucoup de questions pour toi, et on a bien hâte que tu nous présentes comment ça fonctionne pour vous… !

Vignette de l'épisode
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