À propos de l'épisode
Contrairement à une idée reçue, la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (dit loi 1901) n’oblige pas les associations à adopter un mode d’organisation démocratique. Dans l’article « Association et fonctionnement démocratique : quand la notion d’abus de majorité pointe son nez » publié en 2017 par l’Institut ISBL, l’avocat Colas Amblard rappelle même que le contrat associatif peut venir s’opposer, dans certains cas, à l’expression démocratique. Il prend un exemple assez répandu, celui de membres fondateurs qui dans les statuts donneraient aux autres membres de l’association une voix seulement consultative ou une représentation minoritaire au sein des organes de décision et de gestion.
Je dois - Yaël - avouer que c’est une tentation que nous avions eue au moment de la rédaction des statuts avec mon co-fondateur. On avait peur de se sentir dépossédés du projet par des membres – une des particularités du monde associatif est de se retrouver à travailler et à faire collectif avec des membres volontaires que l’on n’a pas choisi et que l’on ne connaît pas. Ce qui peut être assez impressionnant.
Dans notre cas, on a eu la chance d’être épaulés par un avocat spécialisé qui nous a tout de suite mis en garde : “ça n’a aucun intérêt si vous verrouillez les instances de décision” ; “les membres sont la richesse de votre association” (formulation qui est restée relativement abstraite jusqu’à ce que nous ayons nos premiers adhérents !).
Karl - Tu veux dire que les associations n’appartiennent pas forcément au monde de l’ESS ? Je pensais que l’économie sociale et solidaire requierait des modes de gestion démocratiques et participatifs.
Yaël – hé non ! c’est ce que j’ai appris en faisant mes recherches pour ce podcast. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS impose bien, je cite, « une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation aux réalisations de l’entreprise, dont l’expression n’est pas seulement liée à l’apport en capital ou au montant de la contribution financière des associés, des salariés et des parties prenantes. » Mais cela ne s’impose pas directement à toutes les associations ; on peut être une association et ne pas faire partie du secteur de l’ESS. En revanche, à partir du moment où une association passe une convention avec l’État, elle doit respecter un certain nombre de critères en matière de démocratie associative, notamment : 1) veiller à ce que chaque membre dispose bien de la voix délibérative et 2) que les statuts permettent un renouvellement régulier des instances dirigeantes (bureau, CA, etc.).
Néanmoins, en 2006, on voit l’apparition d’une nouvelle notion en droit des associations : la notion d’abus de majorité qui vient du droit des sociétés, et qui permet aux juges, je cite toujours Colas Amblard, de « s’immiscer dans des contrats de droit privé qui, normalement, “tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits” ».
L’abus de majorité se caractérise par deux éléments : 1) une méconnaissance de l’intérêt collectif de l’association, dépassant la simple opposition d’intérêts ; 2) une rupture d’égalité entre les membres au préjudice d’un certain nombre d’entre eux. Et si j’ai bien tout compris – je ne suis pas juriste – l’introduction de cette notion témoigne d’une volonté du législateur à normaliser – au sens de poser comme norme – un mode de fonctionnement démocratique au sein des associations.
Il faudra vérifier tout ça avec Mathieu de la coopérative d’expertise comptable et juridique Finacoop la prochaine fois qu’il viendra sur notre plateau !
Karl - Et tu sais d’où vient cet « impératif démocratique » ?
Yaël – Alors pas exactement, peut-être que Margaux nous éclairera plus. Mais il me semble, qu’à partir du moment où une association est reconnue par l’État, elle s’engage à participer à l’intérêt général. Dans un chapitre sur la démocratie associative du Manuel de direction en action sociale et médico-sociale (2014), le sociologue Joseph Haeringer a cette belle formule : « La fragilité associative tient à cette tension jamais résolue entre l'expression d'une liberté individuelle qui trouve son accomplissement dans l'action collective et l'exigence inhérente à celle-ci d'enrôler ces libertés autour d'un bien commun qui ne se réduit pas à la somme des intérêts individuels. »
Autrement dit : les parties prenantes du contrat associatif doivent en permanence justifier ce au nom de quoi elles sont réunies. Je cite toujours Joseph Haeringer : « Ce processus d’élaboration collective constitue une source de légitimité pour l’action »
Le projet associatif aura d'autant plus de légitimité s'il a été élaboré par toutes les parties prenantes dans un processus de délibération collective. De ce point de vue, la pratique démocratique est source de régulation institutionnelle.
Sur cet aspect, le Mouvement associatif a publié en 2014 un rapport assez intéressant sur la gouvernance des associations en pratique, auquel Joseph Haeringer a d’ailleurs contribué avec Elisabetta Bucclo et Philippe Eynaud. Parmi les résultats de l’étude, ils ont notamment mis en évidence le rôle politique des instances associatives (CA, bureau, AG). Contrairement aux entreprises privées lucratives dont les instances de gouvernance ont d’abord un rôle de contrôle, de suivi et d’évaluation, les instances de gouvernance associative sont centrées sur un projet collectif qui repose sur des valeurs partagées. La question de la cohérence entre le projet associatif, les modes de gouvernance et les valeurs défendues est donc d’autant plus prégnante dans ce type d’organisations.
Pour comprendre comment tout cela s’articule le rapport identifie 4 formes de gouvernance paradigmatique chez les assos :
- la gouvernance militante qui repose sur un principe d’innovation organisationnelle porté par l’idée que la conduite du projet associatif doit être une véritable œuvre collective et démocratique. Les responsables élus au CA se retrouvent co-responsables de l’association ; besoin d’inventer des modes de collaboration innovants avec les parties-prenantes extérieures (avec la double difficulté propre à l’activité de plaidoyer et d'interpellation politique qui demande une capacité de légitimer la parole et les actions produites par la participation des membres et la montée en expertise). la gouvernance professionnalisée qui repose sur des instances de gestion proches de celles du monde de l’entreprise privée lucrative. Le CA et l’AG ont un rôle de surveillance de l’exécutif ; aucune décision ne peut être prise sans leur passer au préalable par ces instances ; les indicateurs de performance sont largement discutés au CA… en contrepartie, cela contribue à déresponsabiliser les bénévoles et à perdre sa base de membres « non experts ».
- la gouvernance externalisée dans laquelle l’implication des parties-prenantes externes (donateurs, financeurs…) domine avec en contrepartie des outils de gestion peu développés et peu formalisés. Cela donne des structures très politiques, avec un CA consultatif et non décisionnaire, dans lequel les décisions sont peu débattues, et une équipe dirigeante salariée qui assure toute l’opérationnalisation du projet associatif – finalement grande liberté, mais peu de visibilité sur ce qui est fait.
- la gouvernance resserrée qui s’incarne dans une ou plusieurs personnes omniprésentes et charismatiques, souvent le président ou le dirigeant qui la personne qui anime les débats dans les instances internes, organise les votes (essentiellement à main levée), fait une bonne partie des contributions / réalisations de l’association. Les autres parties-prenantes n’ont pas beaucoup de place et ont tendance à se reposer sur son dynamisme ; ce qui pose notamment un problème de renouvellement des dirigeants et repose sur une faiblesse organisationnelle.
Chacune de ces gouvernances a des problématiques spécifiques, mais le rapport met en évidence un certain nombre de problématiques transverses dont celles de la cohérence entre le projet associatif et les dispositifs de gouvernance et la participation interne qui nous intéressent plus directement ici.