Est-ce rentable d'être militant ?
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Yaël Dans le premier épisode de Questions d'asso, on a exploré les limites du modèle économique de la subvention sur lequel repose de nombreuses associations. On a vu que les subventions sont une source importante de revenus, mais leur finalité est orientée par celui qui l'attribue, ce qui peut impliquer une réelle perte de liberté pour les associations. Mais si les associations cèdent aux sirènes des subventions, c'est bien parce qu'il est difficile de trouver d'autres formes de financement et notamment qu'il est difficile de susciter la générosité du public et de ne vivre que de dons. D'ailleurs, les chiffres le prouvent. On a vu qu'en moyenne, les dons ne représentent que 5% des revenus des associations. Et pourtant, certaines associations arrivent à vivre essentiellement de dons. C'est le cas de la Quadrature du Net, qu'on va recevoir aujourd'hui, une association bien connue de défense des libertés, notamment concernant les enjeux sécuritaires et les enjeux technologiques. Mais pas que. Comme d'autres associations engagées pour ne pas subir de pressions externes, la Quadra n'accepte que des dons individuels ou privés. On y reviendra. Alors, comment font ces associations pour susciter la générosité populaire? Y-a-t il une recette miracle? Comment est-ce que cela impacte leur organisation interne? En gros, est-ce rentable d'être militant? Ce sont les questions que nous vous proposons d'aborder dans ce troisième épisode de Questions d'asso, le podcast par et pour les assos, en partenariat avec la MAIF. Pour parler de ce sujet, on a le plaisir de recevoir Myriam. Bonjour Myriam.
Myriam Bonjour
Yaël Donc aujourd'hui, tu représente la Quadrature du Net. On est aussi accompagné, comme les deux précédents épisodes, par Mathieu. Bonjour Mathieu.
Mathieu Salut.
Yaël Toi, tu viens de la Coopérative d'expertise comptable et juridique FinaCoop, qui est spécialisée dans l'ESS. Et aujourd'hui, tu vas nous parler plus précisément de la différence entre utilité publique et intérêt général, qui sont deux statuts qui reposent notamment sur la composition du budget des asso. Enfin, tu nous dira tout ça plus précisément tout à l'heure. Et pour animer ce casse, donc moi, c'est Yaël, et je suis accompagné de Karl.
Karl Salut.
Yaël Cet épisode de Questions d'asso est réalisé comme les précédents par Guillaume Desjardin de Synchrone TV, qui nous reçoit encore une fois dans leur studio. C'est sur une musique de Sounds of Nowhere. Donc, si vous aimez, n'hésitez pas à regarder ce que fait l'artiste. Et vous pouvez bien évidemment vous abonner à Questions d'asso sur votre plateforme de podcast préféré. Donc, Apple Music, Google Podcasts, Spotify, Deezer, Soundcloud. Vous pouvez aussi vous abonner directement à notre newsletter sur notre site, où vous aurez de toute façon toutes les informations dont on va reparler et une version textuelle du podcast. Alors je crois que j'ai tout dit. Écoutez, on est très heureux d'être avec vous et c'est parti.
Yaël Donc, on retrouve Karl pour l'édito.
Karl Salut Yaël. Alors, après avoir parlé des associations qui vivent de subventions dans notre premier épisode et puis ensuite du don de temps et de sa gestion dans notre second épisode, nous allons aujourd'hui traiter d'un sujet effectivement qui est à mi chemin entre les deux. On va parler du don d'argent. Donc on l'a déjà dit, le monde associatif repose en grande partie sur la valeur du don, un don de temps, un don en nature, de la nourriture, des vêtements, des appareils dont on ne se sert plus, mais aussi, et peut être presque surtout, un don d'argent. La question que nous vous proposons de traiter aujourd'hui est celle de ce don d'argent. Quelles sont les associations qui en bénéficient? Que représentent les dons dans leur budget? Comment se structurent les campagnes de dons? Sont-elles efficaces? Peut-on faire tourner son association par ce biais? Y-a-t il une spécificité des associations vivant de dons et qui s'opposerait aux associations qui vivent, par exemple, de subventions ? À l'inverse, qui sont les personnes qui donnent? Quelle est la sociologie des donateurs? Autant de questions que nous allons tâcher d'aborder dans cet épisode. Alors, avant de nous lancer et d'accueillir Myriam de la Quadrature du Net, quelques petits rappels s'imposent sur cette question du don. Tout d'abord, Yaël, tu nous avais expliqué effectivement, dans le premier épisode, que le don et le mécénat ne représentaient que 5% du budget moyen des associations. De l'autre côté, tu nous avais également dit que les recettes d'activités, dont les subventions, composent les deux tiers de ce budget. On peut donc d'ores et déjà le dire. Les associations qui vivent de dons sont largement minoritaires. En tout cas, en terme de nombre d'associations. Témoignage d'ailleurs de ma propre association, l'association Designers Ethiques que je représente dans ce podcast. Elle ne reçoit quasiment pas de dons. Ça représente peut être 1% de notre budget.
Yaël Et pourtant, tu n'avais pas dit que vous recevez aussi du mécénat ?
Karl Oui, effectivement, les Designers Ethiques est soutenu en mécénat par plusieurs organisations selon les années. Ça peut représenter peut-être 10% à 20% de notre budget. Alors, la question qui va se poser, c'est est-ce que le mécénat, c'est un don? Je me suis posé la question en préparant cet édito et j'ai eu du mal à y répondre. Alors je me suis dit en fait, puisqu'on a un expert à cette table, Matthieu, on va te poser la question directement. Est-ce que le mécénat, c'est un don?
Mathieu Dans le langage commun, on aime peut-être distinguer mécénat qu'on assimile plus à des personnes morales et le don plus à des personnes physiques, mais fiscalement - il faut savoir que le mécénat, c'est une notion fiscale - c'est une forme de dons qui embrasse toutes les personnes, qu'elles soient physiques ou morales. Donc, oui, tout mécénat est un don. Après, tout don n'est pas forcément du mécénat parce qu'il faut que ce soit fléché vers des organisations d'intérêt général.
Yaël Et si on s'intéresse au montant de ces dons, est-ce qu'on sait un peu ce que ça représente ?
Karl Connaître la valeur moyenne des dons, c'est en réalité assez difficile. Déjà, parce que le plus souvent, les études qui s'intéressent à cette question là se placent du point de vue du donateur et donc souvent de l'individu, du français ou de la française qui déclare sur sa fiche d'impôt combien elle va donner à des associations. Et donc, de fait, ça ignore ce qui pourrait être donné par des personnes morales, donc effectivement du mécénat, qui sont peut-être plus rares, mais qui sont aussi souvent plus conséquents. Donc, ce qu'on sait, c'est qu'au début des années 2000, le don moyen par Français donateur était de 524 francs. Avec Yaël, on a déjà beaucoup dit que le milieu associatif faisait l'objet de peu d'études. On le voit encore ici puisque c'était encore en francs. Je n'ai pas trouvé de chiffres plus récents, même si, a priori, il y aurait des études qui auraient été faites en 2010 sur ce sujet là. Donc, pour rappel, pour ceux qui nous écoutent et qui ne se souviendrait peut-être pas exactement combien ça veut dire 524 francs, combien ça fait en euros ? Ca correspond à peu près à 75 euros. Pourtant, entre le début des années 2000 et aujourd'hui, l'économie du don a largement évolué en France. Je ne sais pas. Myriam, Mathieu, Yaël, si vous avez une idée de qu'est ce qui a changé entre le début des années 2000 et 2010 et qui fait que l'économie du don a beaucoup changé ?
Mathieu J'étais trop jeune... C'est une fiscalité moins avantageuse ?
Karl Oui, une fiscalité moins avantageuse. Exactement. Puisqu'en fait, entre 2003 et 2005, c'est le seuil de défiscalisation des dons qui a largement augmenté puisqu'il est passé de 50% à 66%. Et déjà avant, en 96, il était passé de 40% à 50%. Ce qui veut donc dire qu'entre 1996 et 2005, on est passé de 40% de défiscalisation possible du don à 66%. Donc, en l'espace de dix ans quasiment, la défiscalisation du don aux associations a connu un bond relativement spectaculaire.
Yaël Et tu sais si cette mesure a un effet sur les dons aux associations ?
Karl Alors avant de répondre à cette question, qui est effectivement la question centrale, il faut quand même qu'on s'intéresse un petit peu à la sociologie du don. Qui donne ? Quel est le profil type d'un donateur ? Il se trouve qu'il existe quelques études à ce propos, mais ce sont toujours avec les mêmes équipes de chercheurs qu'on cite depuis le début de ce podcast. Et donc, aujourd'hui, je convoque les économistes Lionel Prouteau et François-Charles Wolff pour vous définir le profil type du donateur. En fait, c'est déjà le profil type d'une donatrice. Puisque ce sont plutôt les femmes qui donnent avant les hommes. Et puis, c'est surtout une donatrice plutôt diplômée, puisque la pratique du don augmente avec le niveau de diplôme et indirectement avec les revenus. Alors évidemment, là, il s'agit d'un profil à très, très gros traits. Pour plus de finesse, je vous invite à lire l'article de Lionel Prouteau et François-Charles Wolff. On mettra en description de cet épisode et qui définit des profils plus précis en fonction des types d'associations auxquelles les gens donnent, si ce sont des associations sportives, religieuses ou culturelles. Attention, précision ici, je parle bien de dons monétaires et non de dons matériels puisque ce don matériel répond à d'autres logiques. L'augmentation de la défiscalisation du don a-t-elle eu un effet sur les montants perçus? Eh bien, a priori, il semble que pas vraiment. Non, en réalité.
Yaël Surtout qu'il y a une bonne partie de la population qui, a priori, est exclue du mécanisme de défiscalisation parce qu'elles sont non imposables.
Karl Exactement. Il semble que les dons des donateurs défiscalisables aient légèrement augmenté de leur côté. Pour reprendre les termes de Prouteau et Wolff, en fait, les donateurs les plus généreux réagissent plus aux réductions d'impôt, mais sans que cela ait en fait réellement changer la donne. Car si on note bien une augmentation des dons, elle apparaît relativement faible. Enfin, ce que nous apprennent Prouteau et Wolff, c'est que le don n'est pas un gage d'engagement bénévole au sein de l'association. Seuls 13% des Français cumulent ces deux contributions une contribution de temps et une contribution d'argent quand 14% ne donne que du temps et 23% ne donne que de l'argent. Finalement, ceux qui donnent les deux sont relativement minoritaires. Et de fait, ça nous amène à aborder une dernière question qui est celle de l'ambiguïté du don. Pour reprendre l'expression et le propos de la sociologue Sandrine Chastang. Car si le don semble désintéressé, il sous-entend pourtant bien souvent un retour, un contre-don, donc vous payez un verre à quelqu'un, à un ami lors d'une soirée. Vous vous attendez à ce qu'il en fasse de même lorsqu'il vous invitera la prochaine fois. En fait, le sociologue Alain Caillé le formalise ainsi. C'est en mettant l'autre au défi de rendre qu'on le reconnaît comme participant d'une commune humanité. Et donc, pour reprendre Sandrine Chastang, le don véritable est donc aussi éloigné du sacrifice qui écrase que de la charité qui méprise. Il laisse à l'autre la possibilité de redonner pour affirmer sa dignité et son appartenance à la communauté des humains. Alors ici, on le comprend, il s'agit d'une analyse qui est liée au don à une personne. Qu'en est il maintenant lorsque l'on donne à une association? Quelles conséquences pour cette dernière? Comment gère-t-on ce don en association? Pour répondre à ces questions, on est heureux, très heureux de recevoir Myriam de la Quadrature du Net. Rebonjour Myriam.
Myriam Rebonjour.
Karl Merci d'être avec nous pour parler de la place du don dans le modèle associatif. La Quadra, Yaël l'a dit, c'est une association de défense des libertés individuelles, notamment sur l'espace numérique. Vous êtes notamment connus pour avoir fait condamner certains GAFAM dont Google à de grosses amendes pour des manquements à la réglementation sur la protection des données personnelles. En fait, on souhaitait aborder ce sujet des dons avec toi, car en échangeant, on s'est rendu compte que votre modèle de collecte de dons était particulièrement original, parce que je crois que vous recevez des dons non pas quand vous lancez des projets, mais quand les gouvernements présentent des projets de loi qui vont à l'encontre des libertés individuelles. Les gens donnent alors pour que vous puissiez attaquer ces projets, c'est ça ?
Myriam En grande partie oui. C'est quelque chose qu'on a remarqué, mais c'est un peu plus compliqué que ça, mais on aura l'occasion d'en reparler.
Karl On a détaillé tout ça dans le courant de l'épisode. Alors pour que celles et ceux qui nous écoutent puissent en savoir un peu plus sur la Quadra et vous situer dans le vaste monde des asso, on te propose de dresser la carte d'identité de l'association à travers nos trois questions qu'on pose à toutes celles et ceux qui viennent à notre micro. Et pour commencer, est-ce que tu peux nous décrire ce que c'est que la Quadra? Quelle est votre activité? Qu'est-ce que vous faites ?
Myriam Je voudrais d'abord vous remercier parce qu'en fait, c'est très rare que la Quadrature ait l'occasion de parler de ce genre de sujet. Nos comptes sont publics, ce n'est pas un souci, mais c'est vrai qu'on n'a pas souvent l'occasion d'en parler. Et donc, c'est assez cool parce que je pense que c'est un sujet assez important. La Quadrature, en fait, c'est une association de défense et promotion des droits et libertés dans l'environnement numérique. Déjà, qu'est-ce qu'on peut entendre par droits et libertés dans l'environnement numérique? Globalement, nous, on a quelques gros sujets dans nos deux centres d'intérêt. C'est beaucoup les questions de censure en ligne, donc les questions de données personnelles. Et le troisième volet, c'est les questions de surveillance, à la fois en ligne et aussi beaucoup dans l'espace public. Donc ça, c'est une initiative qu'on a lancée, qui s'appelle Technopolis. Et donc, voilà effectivement les données personnelles sur lesquelles on a beaucoup travaillé, notamment en 2018. Avec ces plaintes contre les GAFAM. C'est Amazon qui a eu la plus grosse condamnation pour le moment. 746 millions d'euros quand même.
Yaël Bravo!
Myriam On verra ce que ça donne pour la suite. Donc voilà, c'est un peu les trois gros champs sur lesquels la Quadrature travaille en ce moment. On est à la fois en défense et promotion. Beaucoup de la défense effectivement, face aux projets de surveillance qui s'installent de plus en plus, les entreprises et les États qui captent de plus en plus les données personnelles pour faire de l'argent quand même essentiellement. Mais on essaye aussi, malgré tout ça, d'être aussi dans de la promotion, pas seulement dans la défense, parce qu'on cherche toujours à avoir aussi les propositions positives, même si c'est plus compliqué de les insérer dans les contextes d'actualité et les contextes politiques. Mais justement, la promotion d'un Internet libre et émancipateur. Et puis donc une association. Donc là, effectivement, on en parlera. On est là pour ça. Certaines spécificités de fonctionnement qui jouent beaucoup à la fois sur l'organisation et sur le financement.
Karl Justement, c'est la prochaine question : comment est-ce que vous êtes organisés ? Qui composent l'association?
Myriam Alors là, c'est aussi un modèle assez assez original. Moi, je ne connais pas beaucoup d'asso qui fonctionnent comme ça. On a très peu d'adhérents. On n'accueille pas d'adhérents comme font beaucoup d'associations. On a des membres. Actuellement, ils sont 19. Donc c'est vraiment un petit groupe de membres. Il y a sept salariés. Et après, il y a énormément de gens qui gravitent autour de la Quadrature, mais sans statut particulier. Donc, effectivement, il y a des réseaux de bénévoles qui filent des coups de main, soit ponctuels, soit de manière beaucoup plus pérenne. On essaye d'avoir une grande souplesse pour que les gens participent à la Quadrature et se sentent partie prenante. En terme de souplesse, c'est aussi un peu un bazar pas toujours simple à gérer. Mais les gens demandent souvent à adhérer à la Quadrature et en fait, on n'adhère pas à la Quadrature. On a vraiment un noyau de membres qui sont les membres fondateurs de la 3e étape historiquement de la Quadrature, qui sont 19 actuellement. Ça fonctionne par cooptation en fait. Des gens qui viennent, qui font du bénévolat depuis un certain temps et à qui on propose éventuellement de devenir membre. Mais l'idée n'est pas du tout d'avoir un gros pool de membres. On veut vraiment rester sur quelque chose d'assez petit. Et en termes décisionnels, en fait, ce sont ces 19 membres là qui forment l'Assemblée Générale. On essaie d'avoir un fonctionnement très horizontal, donc on a quand même ce qu'on appelle un collège solidaire. Actuellement, ils doivent être sept dedans et c'est assez souple. Parmi les 19 membres, c'est ceux qui veulent en être en sont. Le jour où ils ne veulent plus en ê tre, ils n'en sont plus. Ils peuvent revenir. Et c'est ce collège là qui va représenter la Quadrature face aux pouvoirs publics, etc. C'est là dedans qu'on a notre trésorière. Parce qu'en fait, on n'a pas de président. On n'a pas du tout le bureau président, trésorier, secrétaire.
Yaël Et ce n'est pas obligatoire ?
Myriam Ça n'est pas obligatoire dans les statuts. Il faut deux personnes pour fonder une association. Il n'y a pas d'obligation réelle sur des postes ou autres. Après, dans les faits, la plupart des associations le font parce que c'est très compliqué de faire autrement, notamment vis-à-vis des banques et des financeurs. Quand on leur dit bah non, on n'a pas de président... Alors donc on a décidé quand même d'avoir une trésorière. Ça fait un nom à mettre dans les dossiers. Ce n'est pas légal parce qu'en fait, elle n'est pas seule responsable légalement de ce qui pourrait se passer. Mais la banque voulait un nom. Donc, on a mis un nom. Comme tout est fait collectivement, ça ne représente pas forcément grand chose. Et puis, au quotidien, les décisions sont prises par des groupes de travail. À la fois thématiques. Et puis on a un binôme de médiation, en cas de conflit interne. On a un groupe qui gère ce qu'on appelle le socio pro, pour ne pas dire les RH. On n'aime pas trop le terme. Mais en fait, oui au quotidien, c'est ces groupes qui gèrent. On est assez dans la fameuse do-ocratie. En gros, c'est ceux qui font qui qui vont prendre les décisions. Alors, bien sûr, comme on est un peu tous d'accord sur cette manière de fonctionner, on essaie quand même toujours de prendre les avis d'un certain nombre de personnes dans l'asso. Que ce soit des membres ou des bénévoles d'ailleurs. Ce sont les gens les plus investis sur un sujet qui vont prendre les décisions. Pour les décisions du quotidien en tout cas, pas les lignes stratégiques. Les lignes stratégiques effectivement, ce sont ces fameux 19 membres. J'ai fait à peu près le tour.
Karl Et puis, du coup, il y a l'autre facette de la Quadra, qui sont les salariés?
Myriam Oui, les salariés, oui. L'air de rien, l'équipe participe beaucoup aux décisions
Karl Oui, parce que tu est salariée de la Quadra.
Myriam Moi, je suis salarié de la Quadrature et dans le mode de fonctionnement, même si légalement, on n'est pas membre. Ce n'est pas tout à fait possible. Mais dans les prises de décisions, dans les discussions, dans le fonctionnement, notre voix, elle a autant de poids que celles des membres, quand on discute de la stratégie de l'association et autres. Et c'est assez étonnant comme fonctionnement. Ce n'est pas toujours simple parce que dans un contrat de travail, il y a quand même une subordination qui existe. Mais dans les faits, on essaye de l'effacer la plus possible et d'être sur quelque chose de très horizontal. Mais oui, l'association tourne aussi beaucoup avec ses sept salariés parce que on est à 35 heures, on bosse toute la journée pour la Quadrature. Tout bêtement pour le plaidoyer politique. C'est compliqué d'aller faire du plaidoyer politique le soir et le week end. Donc ça, c'est quelque chose qui va être beaucoup fait par les salariés. Parce que les élus, il faut pouvoir les appeler à l'heure où ils sont disponibles dans la journée.
Karl Et du coup, les profils de ces salariés, ce sont surtout des juristes, je crois, non?
Myriam Non, en fait, on est 7 et on a 2 juristes. Alors c'est le seul binôme effectivement. On a 2 juristes, on a une responsable de la communication, un responsable technique, une chargée de campagne sur les questions de surveillance parce que justement, cette initiative Technopolis a pris beaucoup de place au sein de la Quadrature et donc on a embauché quelqu'un là dessus récemment. Et puis deux personnes pour l'administratif. Moi, je fais un peu, beaucoup de coordination. Et puis on a quelqu'un qui gère la compta, la logistique. Tous ces trucs moins fun, mais qui sont quand même très, très nécessaires pour que l'asso tourne.
Karl Totalement essentielle et la dernière question de notre carte d'identité. Finalement, comment est-ce que vous êtes financés ? Notamment, est-ce que tu peux nous dire quelle est la part de subvention, alors on va y revenir, mais la part de subvention versus prestations, dons dans votre budget ?
Myriam Alors déjà nous, on n'a pas de prestation. C'est quelque chose qu'on ne fait pas. Alors le gros, effectivement, de nos financements, ce sont les dons. Les chiffres varient un peu quand même. Moi, j'ai retrouvé les chiffres depuis 2014, parce qu'avant 2013, la Quadrature n'était pas une association. C'était un collectif, donc c'était un peu différent en terme de gestion. Alors ça a assez varié. En 2014, on avait 61% de dons de particuliers, à peu près 3% de dons d'entreprises et à peu près 35% de dons de fondations qui venaient d'une seule fondation d'ailleurs, l'Open Society Foundation, la branche européenne de l'Open Society Foundation. Et puis, pour 2020, on est à 77% de dons de particuliers et une vingtaine de % de dons de fondations. Et là, par contre, on a un petit peu diversifié, c'est-à-dire que l'Open Society Foundation nous donne moins d'année en année. C'était volontaire, vu avec eux. Ils ont un peu fait décroître leur soutien et on a des soutiens aussi de la Fondation pour le progrès de l'homme et du Digital Freedom Fund, qui est un regroupement de fondations, dont la fameuse Open Society Foundation, d'ailleurs, qui est dedans puisque finalement, quand on regarde sur le numérique, on retrouve un peu toujours les mêmes, les mêmes acteurs. Mais ça varie. Actuellement, on est aux alentours de 70%-75% de dons de particuliers. Alors pour les dons d'entreprises, c'est un peu plus compliqué parce qu'on n'arrive pas toujours à savoir que ce sont des dons d'entreprises. Les entreprises qui nous donnent, ce sont des petites entreprises. C'est des dons qui ne sont pas beaucoup plus élevés que les dons de particuliers. Et elles ne nous demandent pas toujours de papiers pour leur comptabilité, ce qui est un peu étrange. En fait, si, s'ils ne viennent pas nous dire en faisant le don qu'ils sont une entreprise et bien on ne peut pas l'enregistrer comme tel. Donc, on est pas tout à fait sûr de ce chiffre. On a probablement un peu plus de dons d'entreprises que ce que l'on affiche, mais parce qu'en fait, on ne sait pas forcément.
Yaël Du coup, c'est intéressant ce que tu viens de dire. Parce qu'en fait, on voit que dans les fonds que vous recevez, il y en a beaucoup qui sont européens. Du coup, j'anticipe sur la partie d'après, mais comment vous allez les chercher? Vous êtes aussi visible que ça au niveau européen ?
Myriam Pour l'Open Society Foundation, je ne peux pas dire, parce qu'en fait, c'est une fondation qui soutient la Quadrature depuis l'époque de la création du collectif, en 2008. Donc, je n'ai pas vraiment d'idées à l'époque de comment - c'était notamment Jérémie Zimmermann qui avait été en lien avec eux - mais je ne sais pas exactement comment ça s'est fait. Par contre, pour les financements un peu plus récents, je pense par exemple à la Fondation pour le progrès de l'homme, ils ont une partie de leurs bureaux en France. Donc, en fait, ils financent des copains à nous, l'association Framasoft. Et puis, par ce biais là, on les a rencontrés. C'est du bouche à oreille, vraiment. Mais en fait, c'est des fondations qui sont au niveau européen. Mais ils sont très installés en France en fait. C'est beaucoup de bouche à oreille. De fondation qui parle d'une autre fondation en disant "tiens, vous pouvez peut être aller chercher par là".
Yaël Question autant pour Mathieu que pour toi. Du coup, tu disais que au début vous étiez un collectif. Est-ce que vous êtes passés à une association justement pour pouvoir récupérer des dons? Parce que je crois que tu disais les banques n'aiment pas trop les collectifs. Comment vous faisiez avant, justement, pour récupérer des dons si vous receviez ?
Myriam Avant 2013, je crois que le ratio dons / soutiens de fondations était vraiment différent. L'OSF avait vraiment un grosse grosse part dans les budgets de la Quadrature. Si mes souvenirs sont bons. Je n'étais pas là à l'époque. Mais en fait, on passait par une autre association qui collectait les dons pour la Quadrature.
Karl Et qui salariait les gens aussi ?
Myriam Oui, mais il y avait une ou deux personnes, pas plus. C'était vraiment beaucoup plus réduit en terme de salariés. Ca fonctionnait beaucoup plus sur du bénévolat. Ça a vraiment changé la physionomie de la Quadrature en treize ans.
Karl Et tu disais que vous n'acceptiez pas de subventions ni ne faisiez de prestations. Est-ce que tu peux nous dire pourquoi ?
Myriam Alors les prestations, je ne saurais pas vraiment dire pourquoi. La question ne s'est jamais vraiment posée. Par contre, pour les subventions, c'est très clair. C'est vraiment ce que disait Yaël en introduction. C'est la question de l'indépendance. Que les pouvoirs publics ne puissent pas, même indirectement, peser sur les choix de l'association. Et au vu de ce qui s'est passé les derniers mois, on a vraiment bien fait. Parce que la fameuse loi, je ne sais plus quel est le nom exact, mais celle qu'on appelle la loi séparatisme qui a fait rentrer dans la loi française des choses assez compliqué pour les associations. Et justement, maintenant, il y a ce fameux contrat d'engagement républicain pour les associations qui reçoivent des subventions ou qui ont des agréments et qui écrit quand même noir sur blanc que les associations s'engagent à respecter et faire respecter l'ordre public. Si la Quadrature s'engageait sur ce genre de truc, elle ne serait plus la Quadrature. Donc, en fait, on a bien fait jusqu'ici de pas demander de subvention publique et je pense qu'on continuera.
Karl Et si on s'intéresse maintenant à vos donateurs. Est-ce que tu connais le profil des donateurs de la Quadrature? Est-ce qu'il y a un profil type? Est-ce que vous savez en moyenne combien une personne va donner, ce genre de chose?
Myriam Alors on a des idées de combien une personne peut donner en moyenne. Mais alors par contre, après, on n'a pas du tout d'idée des profils pour deux raisons. Parce que déjà, au départ, c'était beaucoup un milieu geek et les milieux de libristes. Depuis, ça a beaucoup changé et on n'a pas parce qu'en fait, on n'en veut pas. Parce que les questions de données personnelles. Il y a des gens qui nous donnent, sans donner plus d'infos et il y a des gens qui se créent un compte donateur parce qu'on a aussi des systèmes de contrepartie dont on pourra reparler à l'occasion. Mais ces gens là, on a juste besoin d'un pseudo, d'une adresse mail et d'une adresse postale s'il faut leur envoyer des contreparties. Mais c'est des données qu'on garde le moins longtemps possible et on n'en demande absolument pas plus. Parce que donc, on ne cherche pas savoir vraiment qui nous donne. Par contre, ce que je peux dire, je n'ai pas les chiffres en tête, mais le don moyen à la Quadrature est assez faible, en fait. En fait, c'est plutôt un grand nombre de gens qui donnent des petites sommes que l'inverse.
Myriam Et alors, ces contreparties, justement, quelles sont-elles alors?
Myriam Les contreparties, on a un système par paliers. Les gens cumulent les dons au fil des mois ou des années. Je n'ai plus les paliers exacts en tête parce qu'on les a fait changer il y a pas longtemps. Mais quelqu'un qui va vouloir, entre guillemets, la totale de nos contreparties, c'est un palier à 314 euros.
Karl Par an ?
Myriam Ah non, non. S'il met 10 ans à nous donner 314 euros, il aura ses contreparties au bout de 10 ans. En fait, c'est les T-shirt, les sweet et les petits tote bag quadrature qu'on fait. On change le design tous les ans et c'est assez marrant.
Yaël Reprécisé pour ceux qui ne savent pas, Pi, c'est aussi votre logo.
Myriam Oui, oui, oui, le Pi, c'est le logo de la quadrature.
Karl Alors du coup, la question qui suit, c'est en fait vous ne collectez pas de données sur vos donateurs, mais est-ce que vous savez pourquoi ils donnent? Qu'est-ce qui fait qu'ils soutiennent la Quadra? Est-ce que vous avez juste une idée parce que ce sont des militants de la cause de la protection des libertés individuelles? Ou est-ce que vous avez des données un peu plus fines, justement, sur ce qui les motive?
Myriam En fait, les données, on peut les avoir plus par le contexte dans lequel les gens donnent qu'autre chose. Alors, bien sûr, il y a des donateurs qui nous écrivent pour nous dire qu'on fait du super boulot. Parfois, ils nous disent sur quels sujets ils ont le plus d'attention. Alors c'est vrai qu'il y a un noyau de donateurs et donatrices qui donnent parce que ce sont des libristes. Ce sont des geek qui continuent à donner à la Quadrature depuis des années et des années. On a un petit pool comme ça de personnes qui nous donnent de manière très, très fidèle. Et puis après, on s'aperçoit que c'est très lié à l'actualité. En gros, dès qu'il y a des projets un peu liberticides qui touchent de près ou de loin au numérique, les gens donnent à la Quadrature. Donc voilà, c'est plus un soutien parfois ponctuel, parfois de long terme. Mais face aux inquiétudes, les gens sont inquiets face à tous ces projets liberticides et donc ils vont donner à la Quadrature, parce qu'ils pensent qu'on peut aider quelque chose là-dessus.
Yaël Ils donnent spontanément ou en fait, vous profitez aussi de ces périodes là pour faire des campagnes de dons ou des appels à dons ?
Myriam En général sur l'actualité, c'est assez spontané parce qu'en fait, ça nous est arrivé de profiter de l'actualité pour faire des appels à don. On ne le fait pas forcément toujours parce que parfois, les sujets dont il est question sont quand même assez graves. Et ça nous embête un peu de terminer un article hyper grave sur la surveillance en disant "au fait". On le fait, mais pas forcément dans nos publications, plutôt sur les réseaux sociaux. Mais ça, on en reparlera plus tard. Mais c'est vrai que a des campagnes de don aussi qu'on fait activement, mais on est en réflexion justement là dessus, ça bouge beaucoup.
Karl Peut être une dernière question avant d'aborder cette question des campagnes de dons. C'est que finalement, on a le sentiment que les dons sont faits à la quadra. Ce n'est pas vraiment un don de solidarité pour défendre une cause qui nous touche pas. C'est plutôt peut être l'attente d'un retour de service, au sens où la Quadra serait presque l'avocat de ceux qui se sentent impactés sur leurs libertés individuelles. Un contre pouvoir. Est-ce qu'on peut le dire comme ça ?
Myriam Oui, je pense qu'il y a en partie de ça, oui. Ça se voit beaucoup ces dernières années. J'ai l'impression en tout cas, des messages qu'on reçoit de soutiens ou autres, que les gens se sentent attaqués sur leurs données personnelles, leur intimité, leur vie privée, etc. Ils se disent que la Quadrature peut y faire quelque chose. Après, on a aussi des gens qui ne font pas partie des gens les plus impactés par ces projets sécuritaires et qui nous donnent quand même. Là, on n'est plus dans une solidarité de défense, de liberté plus générale.
Karl La question qu'on pourra poser tout à l'heure qui est liée à ça, c'est finalement est-ce que ça a un impact, ce don contextuel, sur ce qu'on va attendre de vous en tant qu'association, en tant que réalisation d'un service entre guillemets, d'une association. Mais avant d'aborder cette question là, effectivement, sur la question des campagnes de dons. Est-ce que vous en faites? Est-ce qu'elles marchent ? C'est un peu la grande question des assos qui vivent de dons finalement ? C'est comment est-ce qu'on va récupérer ces dons? Est-ce que finalement, le fait de mettre en place pendant les campagnes de crowdfounding ce que vous employez ce terme? Est-ce que vous faites du corwfounding? Est-ce que ça fonctionne? Ou est ce que c'est complètement décontextualisé ?
Myriam Alors on fait des campagnes de don. Ça, depuis au moins 2013. Après, on ne fait pas vraiment de crowdfunding. On ne fait pas de financement sur projet. C'est quelque chose qu'on évite de faire. On profite de nos projets pour rappeler aux gens que ce sont leurs dons qui financent la Quadrature essentiellement, etc. Mais on n'appelle pas les gens à nous soutenir sur un projet particulier. Après, les gens vont soutenir parce que tel ou tel projet leur plait. En fait, on est assez contre les financements fléchés. En fait, on estime que les gens vont venir nous soutenir parce qu'on peut défendre les libertés, mais qu'après quelque part, c'est nous, collectivement, à la fois les membres, mais aussi les salariés, les bénévoles, qui décideront de la meilleure manière de le faire. Alors on y réfléchit. Ça ne veut pas dire qu'on a exclu totalement de le faire dans les années à venir. La quadrature est traversée perpétuellement de questionnements. Tout le temps. Sur tout. Mais on fait des campagnes de dons. Jusqu'à 2016, je crois, il y avait deux campagnes par an. Une en juin et une en fin d'année. C'était apparemment assez épuisant. Moi, c'était juste avant que j'arrive à la Quadrature. J'y suis arrivé en 2017. C'était vraiment épuisant parce qu'en fait, on terminait une campagne et il fallait tout de suite commencer à organiser la suivante. L'impression, pas de ne faire que ça, mais un petit peu. Et donc, depuis 2017, on ne fait plus qu'une campagne de fin d'année qui est un peu dans le calendrier. Ça reste quand même quelque chose un peu important. Mais depuis l'année dernière, on est passé à un fonctionnement un peu différent. On garde cette campagne de fin d'année, mais on y met moins d'énergie, moins de ressources et on fait des appels à toute l'année en fonction de nos actualités, etc. On rappelle régulièrement aux gens que la quadrature vit beaucoup des dons et ça change pas mal la physionomie du travail. Ça allège la fin de l'année un petit peu. Mais on garde quand même cette campagne de fin d'année parce que presque tous les donateurs fidèles de la Quadrature, ils y sont habitués. Il y a une espèce d'institution et c'est aussi un moment où la quadrature fait un peu le bilan de ce qu'elle a pu faire l'année d'avant. C'est quand même important de la garder. Mais on a remarqué que c'est très, très compliqué. Il n'y a pas de recette miracle pour répondre à la question. Il n'y a pas de recette miracle. On fait régulièrement des points en comparaison des campagnes de dons d'année en année. On se rend compte qu'il y a des années, lLes campagnes de fin d'année marchent super bien et des années, on ne sait pas trop pourquoi ça marche moins bien. Et on s'est dit que plutôt que d'avoir tous les œufs dans le même panier avec juste une campagne en fin d'année, de demander des dons un peu tout au long de l'année, ça met moins de pression en interne. Et puis, ça évite si on se plante une année en fin d'année sur une campagne de don, ça évite d'être complètement stressé.
Karl Ça représente quelle proportion de votre budget, cette campagne de dons de fin d'année?
Myriam C'est compliqué, alors si je prends les chiffres de cette année. Mais cette année n'est pas tout à fait terminée. En plus, ça complique les choses parce que notre campagne commence en novembre. D'un point de vue de la manière dont on organise nos campagnes de dons et dont on analyse tout ça, on est en décalage par rapport au bilan comptable classique du 1er janvier au 31 décembre. Donc, il y a toujours des chiffres, mais là, on est au moins, à vue de nez, sur un bon quart, voire un petit tiers de dons sur cette année. Mais sur 2020, 2021, on s'est quand même aperçu que, justement, cette idée de faire une espèce de campagne permanente toute l'année, ça marchait. C'était vraiment pas mal en fait. Ça marchait parce que ça permet d'utiliser un peu plus les actualités, justement pour que les gens nous donnent. Voilà alors qu'avant, c'est vrai que c'était comme on faisait campagne, qu'en fin d'année, on ne profitait pas forcément des actus. Maintenant, on essaye de le faire un peu plus. On n'aime pas trop le côté profiteur des actualités, mais en même temps...
Mathieu Ce n'est pas l'actualité qui manque.
Myriam Oui, surtout en ce moment sur les sujets de la Quadrature, ça ne manque pas malheureusement
Yaël Je crois que tu nous avait dit, en préparation de cet épisode que vous avez aujourd'hui des réserves qui peut être font que vous êtes dans l'urgence aussi de devoir absolument chercher des sous. Parce que vous avez quand même 7 salariés à payer, etc. Mais vous avez aussi peut-être un peu plus de respiration, de souffle là-dessus.
Myriam Il y avait un peu de réserve. Ce qui s'est passé, en 2014, il y avait eu une campagne de dons qui démarrait assez mal, qui augurait pas grand chose de très, très bon pour la Quadrature. Il y avait eu un appel, notamment de Philippe Aigrain, qui était un des fondateurs de La Quadrature, qui avait lancé un appel sur les réseaux disant "mais si vous ne faites rien, si vous ne nous aidez pas, la quadrature va s'arrêter". Moi, je travaillais pour la Quadrature à l'époque, je n'étais pas du tout dans les milieux libristes et geek. Et pourtant, j'ai reçu cet appel là et j'ai donné à l'époque à La Quadrature. C'était mon premier contact avec la Quadrature. Ensuite, il y a eu l'année 2015 avec les attentats et la loi Renseignement, l'état d'urgence, etc. Et là, c'est la première fois qu'on a vraiment remarqué que quand les gens étaient inquiets pour leurs libertés fondamentales sur toutes les questions de données personnelles et de surveillance, ils avaient tendance à soutenir la quadrature. Et à ce moment là, on s'est fait un petit matelas. Donc, c'est vrai que ça permet de voir les choses de manière un tout petit peu plus sereine. Mais le matelas, commence à rétressir. Parce que bon, on est passé aussi de 2 salariés à 7. Et forcément, les associations le disent pas souvent parce que les associations présentent leurs comptes de manière à pas montrer trop que en gros, le gros des budgets des associations, c'est la masse salariale. Enfin, pour les associations qui ont des salariés. Et quelque part, je trouve ça un peu hypocrite. Oui, la quadrature, 80% de son budget, ce sont les salaires. Mais en même temps, s'il n'y avait pas les salariés, le travail ne serait pas fait. Donc ça paye du salaire. Mais c'est pour des actions. Ca paye pas juste des salaires, en fait. Mais voilà, on est quand même toujours un peu... On sait que ce n'est pas la catastrophe, mais on sait toujours que si on veut pouvoir continuer à travailler avec l'équipe actuelle parce qu'on n'est déjà pas assez nombreux pour tout le travail qu'il y a à faire, faut pas qu'on se relâche.
Yaël Merci beaucoup.
Karl Dernière question pour finir sur ces questions de campagne de don, il me semble qu'il y a quelques années, vous avez fait. Vous avez aussi fait une campagne de publicité dans les médias et d'affichage, je crois, qui était orientée justement sur la perte des libertés individuelles. Est-ce que c'était juste une volonté de sensibiliser sur ces questions-là? Où est ce qu'il y avait aussi une volonté de lancer une campagne de dons? J'ai l'impression que tu ne vois pas de quoi je parle.
Karl Alors en fait, ce n'était pas du tout, du tout une campagne de dons. C'était 2018. On faisait encore des campagnes de fin d'année. On ne faisait pas d'appels à dons dans l'année et en fait, non, c'était vraiment une campagne d'action. Il y avait ce fameux règlement européen sur les données personnelles qui allait entrer en vigueur en mai 2018. Fin 2017, on s'est dit mais là, faut faire quelque chose en terme d'actions pour sensibiliser les gens sur la question des données personnelles à travers les GAFA. Parce que les GAFA, c'est tout le monde connaît les GAFA, mais utilise les services des GAFA. Et donc, on a lancé ça, mais c'était complètement. C'était pas du tout lié à des dons. Et en fait, ça a eu un petit impact, mais pas si énorme que ça en termes financiers. On a eu un petit pic de dons en avril mai 2018, au moment de ces campagnes d'affichage et du dépôt de plainte contre les GAFA. Mais ça n'a pas eu un impact si important que ça sur le budget. Ce n'était vraiment pas pour le financement. C'était vraiment une envie d'en découdre un peu avec les GAFA. Enfin pas les GAFA en eux mêmes, le monde que représentent les GAFA. Parce qu'il n'y a pas qu'eux qui posent des problèmes en termes de données personnelles. Mais la liste serait longue si on devait attaquer tout le monde.
Karl Donc, si on comprend bien, les facteurs de don, c'est surtout votre campagne annuelle, les rappels que vous pouvez faire chaque année. Et puis ensuite, si jamais il y a une actualité qui se présente. Mais finalement, quand vous même vous communiquez sur des projets précis, c'est pas ça, forcément, qui va susciter du don.
Myriam Non, parce qu'on n'est pas dans cette démarche.
Yaël Mais ce qui est intéressant aussi, c'est aussi que vous êtes hyper identifiés sur ces sujets là. Pour que les gens pensent à vous dès qu'il y a une loi qui sort, je me dis que la nouvelle asso qui se met en temps de plaidoyer, mais que personne ne connaît personne non plus lui donner des sous. Est-ce que tu as peut-être une idée de comment vous avez réussi à être aussi visible dans l'espace public ?
Myriam On est 7 salariés, mais on a aussi des bénévoles, des membres et des bénévoles hyper actifs. La quadrature a gagné énormément depuis 13 ans, en légitimité, en termes d'expertise, notamment juridique, sur les questions numériques. Et ça, ça a joué énormément en fait, cette expertise qui s'est créée petit à petit parce qu'on a aussi une équipe de juristes bénévoles qui bosse énormément avec les salariés. Et en fait, cette expertise là, elle a fait que petit à petit, les médias, et notamment des grands médias, ont commencé à contacter la quadrature. Et maintenant, effectivement, les grands médias, sur certains sujets, savent qu'ils peuvent appeler la quadrature. En fait, on s'aperçoit que les passages dans les médias font que, petit à petit, ce n'est plus seulement les libristes et les geeks qui ont donné la quadrature, mais des gens qui ont découvert l'association via les médias et qui se sont dit oui, c'est peut être eux qu'on peut aider pour essayer de faire quelque chose. Ce sont des sujets où, notamment l'exemple des données personnelles et des traitements qu'en font les GAFA, c'est vraiment typiquement le truc où en tant qu'individu tout seul, qu'est ce que je peux y faire? De toute façon, j'ai besoin des services de Google. Et donc se dire bon, au moins, il y a des associations qui essayent de faire bouger les choses, on va les aider. Et le fait de passer dans les médias, toutes les interventions média, elles ont aussi beaucoup joué en fait. On l'a vu avec la loi Sécurité globale en fin d'année dernière. Il y a eu beaucoup d'interventions média de la Quadrature. Et puis, on communique aussi plus qu'avant sur nos recours juridiques. Ça aussi, ça aide. Parce qu'il y a un aspect concret du recours juridique. C'est une action concrète qui est faite avec des résultats bons ou mauvais. Et le concret aide quand même beaucoup les gens a donner j'ai l'impression.
Yaël Avant de passer à la question d'experts, justement ce qui était intéressant, ce que tu disais, en fait, quand les gens donnaient un peu spontanément, mais quand il y avait quand même une actualité. Comment vous, est-ce que ça vous interpelle en interne? Et comment est-ce que ça va peut-être influencé ou pas sur les projets que vous allez mener? Notamment quand tu disais que vous faisiez de la défense, mais vous faisiez aussi de la promotion. Du coup, comment est-ce que ça joue sur les décisions et les projets que vous allez mener?
Myriam C'est probablement l'une des questions les plus compliquées dans le fonctionnement de la quadrature. C'est d'arriver à ne pas être pris que par l'urgence, qu'elle soit législative ou médiatique, et de se garder quand même du temps pour les réflexions de fond pour les projets de fond. Et c'est effectivement assez compliqué. On a eu, mais en fait, il y a eu cette fameuse initiative technopolis qui a été lancé en 2019 et qui, au départ, n'était pas lié du tout à des actualités. L'idée, c'était vraiment de mettre justement dans le débat public les questions de surveillance parce que les projets de surveillance, la plupart du temps, ils se font très discrètement, sans que les citoyens soient prévenus. On pose une petite caméra par ci, un petit drone en manif par là. Et là, quelque part, c'est nous qui avons devancé l'actualité parce que c'est devenu ensuite de l'actualité, notamment beaucoup à partir de 2020 et les confinements. Mais c'est vrai qu'après, ce n'est pas toujours simple d'arriver à se dégager le temps d'être sur du projet de long terme. On a notamment une proposition positive sur des questions d'interopérabilité qui permettrait de lutter justement contre la centralisation sur ces grandes plateformes, d'arriver à avoir des petits réseaux sociaux qui seraient tous, entre guillemets, compatibles entre eux. Je pourrais, moi, ne pas avoir de compte Facebook, mais communiquer avec des gens sur Facebook, sans que Facebook récupère mes données. Ça, c'est quelque chose de super intéressant. Mais c'est vrai que là, ces derniers mois, avec toute l'actualité, on a eu du mal à avancer vraiment sur ce truc là. C'est une recherche d'équilibre permanente qui est très compliquée, j'imagine.
Yaël Et d'ailleurs, ça me fait aussi penser. Du coup, si vous pouvez un moment donné recevoir pas mal de financements par rapport à une actualité, est-ce que finalement, ces financements vous les gardez pour des projets quadra ou est-ce que vous en profiter aussi pour en faire bénéficier d'autres assos ou pour avoir des actions qui sont plus transversales de coordination pour rendre visible un sujet dans l'espace public? C'est une dynamique que vous avez déjà tenté de faire ou que vous pensez développer à l'avenir?
Myriam On l'a tentée un peu, notamment en 2020 sur la loi sécurité globale, puisqu'il y a eu une coordination qui s'est montée. Et la quadrature a aussi aidé financièrement. À la fois financièrement et en termes de travail. Cette coordination, on a géré le site Internet, etc. Donc effectivement, ça nous arrive aussi parfois de faire des dons à des associations proches qui pourraient être, à un moment ou un autre, un peu en difficulté. On ne le fait pas forcément beaucoup parce que, l'air de rien, il faut quand même payer nos salariés. Mais c'est quelque chose qu'on essaye de faire et qu'on aime faire. Et puis juste j'en profite parce que je crois que c'était une question que tu avais posée, Karl, un peu aussi dans ton dans ton intro. Peut-être que certains donnent en se disant qu'il va y avoir un retour, un service derrière. Mais ce n'est pas du tout comme ça qu'on voit les choses. Et en fait, on se dit mais les gens donnent à la quadrature, la quadrature fait avancer ses projets. Et le jour où les gens ne sont pas satisfaits des projets, simplement ils arrêtent de donner à la quadrature et ils vont donner ailleurs. S'ils donnent à des assos amis, tant mieux. Nous, ça nous arrive aussi beaucoup de renvoyer, que ce soit des médias ou même des gens qui cherchent à donner en leur disant mais en fait, si, c'est vraiment sur cet objectif, par exemple de promotion du logiciel libre, peut être que vous pourriez aller plutôt soutenir l'April. Voilà, on n'est pas là pour nous. Ce n'est pas une question de services rendus et on ne va pas trop non plus laisser les dons influer sur les choix qu'on fait, en fait. Les choix stratégiques restent nos choix stratégiques.
Karl Est-ce que ça n'a pas tendance à précariser vos employés? Est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'il y a des moments où vous êtes quand même contraint d'aller chercher quelque chose parce que il faut bien finalement, justement, payer ces salaires?
Myriam Oui, c'est vrai que l'une des choses qui était très difficile quand nos finances ne dépendaient quasiment que de cette campagne annuelle, c'est que ça mettait une pression dingue. À la fois sur les salariés qui se disaient "mais si ça foire, je vais peut-être me retrouver au chômage". Et sur les membres aussi, qui se sentent responsables, qui n'ont pas envie de devoir licencier quelqu'un parce que ça ne fait jamais plaisir, ce genre de choses. Mais en même temps, quelque part, dans les salariés, on est aussi tous militants. Et donc, pour nous, le principal, c'est de faire avancer la vision de la quadrature et les causes de la quadrature. Et si pour ça, ça veut dire de se retrouver dans un an ou deux au chômage, quelque part, tant pis. Enfin, je caricature peut être un tout petit peu, mais ça nous est arrivé déjà de nous dire "bah oui, mais si on part là dessus, on va peut être se planter financièrement, ça va être compliqué pour nous personnellement". Ça ne nous a pas empêché d'y aller quand même et de prendre le risque parce que quelque part finalement, pour nous, le militantisme est plus important que le salaire qu'on reçoit. Même si on aime bien l'avoir voir le salaire qu'on reçoit.
Yaël Ça, c'est intéressant. C'est une question qu'on va aborder dans un prochain épisode de Questions d'Asso justement sur les questions d'insécurité au travail et de souffrance au travail. Est-ce que c'est parce qu'on est militant qu'on doit se sacrifier pour la cause? C'est aussi une...
Myriam Question passionnante effectivement
Yaël Et peut-être que si tout le monde n'a pas le privilège de pouvoir se permettre ce risque là. Bah, du coup, peut être, Karl, je te laisse la parole pour la question d'expert.
Karl Exactement. Au cours des premiers épisodes de Questions d'asso, on a successivement abordé différents modes de financement dont on a déjà expliqué que ça avait un impact sur le statut fiscal de l'association, notamment pour savoir si cette dernière est lucrative ou non. Et donc, on vous renvoie pour ça à notre premier épisode. Mais au-delà de la lucrativité, il y a un autre aspect important dans l'économie des associations, c'est le statut d'association d'intérêt général, souvent confondu avec le statut d'utilité publique. Alors, que recouvrent ces deux statuts? La réponse dans la question dexperts.
Karl Et notre expert aujourd'hui, c'est Mathieu de FinaCoop, structure d'expertise juridique et comptable dédiée au monde de l'ESS et notamment des associations. Salut Matthieu.
Mathieu Salut.
Karl Et donc on a pas mal de questions pour toi aujourd'hui sur ces questions de l'intérêt général et de l'utilité publique. Et peut-être pour commencer, tout simplement. Qu'est-ce que c'est que l'intérêt général pour une association?
Mathieu Alors il faut s'imaginer un peu une pyramide à trois étages. Comme tu disais, au premier épisode, on avait parlé de non lucrativité. C'est le premier étage. C'est le fait de ne pas payer d'impôts. Et pour ça, il faut avoir une gestion désintéressée, notamment la question de la rémunération des dirigeants qui doivent rester bénévoles, maximum trois quarts du SMIC. Ensuite, il y a la question de la non-lucrativité des activités au sens fiscal, ce qui veut dire une absence de concurrence ou en tout cas une concurrence dans des conditions différentes des fameux 4P. Il y a aussi quelque chose d'un peu moins connu, mais il faut éviter les liens privilégiés avec des entreprises. On ne doit pas apporter un surcroît de ressources, des économies de dépenses. Ca, c'est la non lucrativité. Pour aller vers l'intérêt général. Il faut rajouter un seul critère qui être sur une liste d'activités éligibles. Donc là, on a le cas parfait, malheureusement, avec la Quadrature du Net qui ne coche pas cette case là. Comme la plupart des asso qui font du plaidoyer au sens politique du terme, le plaidoyer considéré par le fisc comme quelque chose de trop indirect qui ne mérite pas d'être soutenu, on pourrait le regretter étant donné les millions et centaines de millions d'euros qu'apporte la Quadrature du Net, avec tous les procès intentés notamment. D'autres exemples, on pourrait citer aussi la recherche fondamentale. Pareil. C'est trop indirect. Contrairement à la recherche développement, ce n'est pas une activité d'intérêt général.
Karl Ce n'était pas le contraire ? Il me semblait avoir entendu que recherche et développement, comme c'est trop proche des entreprises, c'est pas considéré...
Mathieu Si c'est au service d'entreprises lucratives. Comme je disais tout à l'heure, ce n'est pas éligible. Et ensuite, il faut savoir au profit de qui c'est fait. Un autre exemple, ce serait les activités économiques, par exemple si on soutient des entreprises. Bon, ça tombe pas dedans. Par contre, des fois, on peut jouer un peu aussi. On soutient indirectement des emplois, si on aide des personnes physiques, là, on peut être éligible. Voilà un petit peu les critères. Et après, pour terminer, pour aller vers l'utilité publique. L'intérêt général, outre la non fiscalisation, l'absence d'impôts commerciaux, ça offre une défiscalisation des dons, mécénats, toute forme de mécénat, numéraire, en nature et de compétences à hauteur de 60% pour des personnes morales et 66% pour des personnes physiques. C'est ça principalement. Et l'utilité publique, il y a relativement peu d'associations. On en parle souvent, mais finalement, il y en a assez peu qui sont concernées. C'est quelques centaines. Il y a plus de critères, notamment de transparence, de démocratie et pas simplement de gestion désintéressée, de nombre de membres d'adhérents. Il en faut moins de 200, donc ce ne serait pas possible dans le cas actuel de la Quadrature. D'ancienneté aussi, du fait d'avoir une bonne santé économique. Et après, c'est une procédure assez lourde à demander auprès du fisc. Pour autant, ça apporte aussi une image encore plus forte et un peu plus d'avantages fiscaux, notamment la capacité à recevoir des legs et des donations. Une asso d'intérêt général qui a plus de 3 ans maintenant peut aussi avoir ça. Et aussi une défisc des personnes physiques un peu plus importantes à hauteur de 75%. Voilà un peu la différence.
Karl Et alors, peut-être pour revenir sur l'intérêt général, souvent, on dit que les associations sont d'intérêt général par défaut. Est-ce que c'est vrai? Est-ce que c'est un abus de langage?
Mathieu C'est un abus de langage. Une asso est plutôt à but non lucratif par défaut. C'est en tout cas c'est sa définition. C'est-à-dire elle doit avoir un objet autre que la recherche de profit pour ses membres. Après, il faut faire attention à la notion de lucrativité parce qu'il y a la non lucrativité au sens fiscal, des activités qui est encore différente, qui est évité la concurrence dont je parlais, etc. Les 4P.
Yaël Peut-être appeler les 4P, car que tu en avais parlé dans un précédent épisode.
Mathieu Les 4P, il y a la notion de produit vendu, bien ou service. La notion de prix, qui doit être nettement disproportionné, au moins 30% en moins des prix du marché. La notion de public visé et la notion de publicité. Après, c'est un faisceau d'indices. On n'est pas obligé de cocher tout ou à tout prix, toutes les cases.
Karl Et alors, si on n'est pas d'intérêt général par défaut, comment fait-on pour le devenir?
Mathieu Alors qu'il y a deux mois, il y a deux possibilités. Je pense que la majorité des personnes pensent que c'est une demande officielle formulée au fisc, demande de reconnaissance. Or, ce n'est pas le cas. Donc, même si ça part d'une bonne intention, c'est très séduisant sur le papier de faire le fameux rescrit fiscal. Donc, la demande au fisc de se positionner, ce n'est pas toujours opportun. Nous, on la préconise dans très peu de cas, soit on est sur un 100% d'avoir une réponse positive liée au fait qu'on ait beaucoup d'ancienneté. Il y a eu quelques publications de rescrit dans le BOFIP, ça, c'est tout nouveau. Donc peut être qu'on est pile poil dans un cas qui a été publié.
Karl Le BOFIP, c'est ?
Mathieu Le Bulletin des finances publiques. C'est un peu la doctrine fiscale, qui a force juridique en tout cas. Ou on connait bien son contrôleur fiscal. Non, je caricature, mais des fois, ça peut arriver. Sinon, dans 90% des cas, nous on recommande de ne pas faire cette démarche là, car on est totalement libre de s'auto revendiquer d'intérêt général. Et cela, pour plusieurs raisons. Parce que le fisc a des contraintes budgétaires, des directives aussi pour resserrer les vis donc au moindre doute, ils vont en profiter pour dire non. Dans ce cas là, on renverse la charge de la preuve. Donc après, il faut aller faire un dossier, etc. Alors si on reste dans notre coin et qu'on fait notre propre dossier, nos propres analyses, c'est au fisc de venir nous embêter, etc. Et puis c'est beaucoup d'énergie. Et je pense que la grande majorité des financeurs de type mécènes, personnes morales, fondations ne demandent pas ce fameux sésame parce qu'ils savent que c'est un peu une hypocrisie de l'avoir. Il y a peu de structures qui ont une réponse positive. Donc, on le remplace en général par une attestation du président ou la présidente quand il y en a. Ou alors, je pense qu'on est les seuls à le faire à Finacoop, on fait une mission d'audit d'intérêt général et on délivre une attestation. On estime que l'association respecte ou non les critères de l'intérêt général.
Yaël Et c'est bon à savoir.
Mathieu Si ça peut aider. Mais voilà, des fois, ce n'est pas utile.
Karl Et la différence entre ce reçu presque informel et le papier? On dit bien rescrit officiel des impôts ? justement, si on donne juste un reçu sur sa fiche d'impôt pour dire "j'ai fait un don, voilà le reçu", est ce qu'il est autant valable que le papier officiel?
Mathieu Alors le donateur n'est pas tenu de donner le moindre document. Et en cas de contrôle, le donateur n'a pas forcément accès au rescrit fiscal obtenu par l'association, mais c'est l'association qui doit lui délivré un reçu fiscal. Un reçu-don. Donc il pourra fournir ce fameux reçu-don
Karl Et la dernière question à te poser sur cette question d'expert. Finalement, tu nous a bien expliqué les différences entre l'intérêt général et l'utilité publique. Donc, on a aussi bien compris que pour la quasi intégralité des associations, l'utilité publique n'est pas quelque chose à envisager. Mais au delà de ça, sur l'intérêt général. Est ce que c'est vraiment quelque chose qu'il faut aller rechercher? Parce que je me souviens notamment en avoir discuté avec tes équipes qui nous disaient mais en fait, ce n'est pas forcément toujours utile. Peut être que vous pourriez vous en passer dans votre association, etc. Est ce que c'est vraiment quelque chose qu'il faut aller chercher comme un sésame où il y a plein d'associations qui fonctionnent sans et très bien sans?
Mathieu Dans la grande partie des associations qui vont chercher, qui sont dans cette démarche de recherche, de dons, de mécénat et qui veulent en faire un gros pilier de leur modèle économique. Pour moi, c'est très utile, voire vital pour certaines associations, notamment quand on est financé par des fondations françaises. Après les fondations européennes, elles ont chacune... Chaque pays a sa doctrine et donc on n'est pas obligé d'être d'intérêt général si on va chercher une fondation suisse ou autre. En tout cas, en France, c'est quelque chose qui est demandé, qui est nécessaire. Les fondations elles mêmes doivent permettre une défiscalisation à leurs donateurs. Donc, il faut qu'elles financent des structures d'intérêt général. Et encore une fois, ce que tu disais, pour les particuliers, je pense que oui, plus on va vers des personnes à revenus élevés qui sont susceptibles de donner beaucoup, plus c'est aussi attractif.
Karl Il y a une sorte de contradiction si je comprends bien, parce que mine de rien, on est en train de dire que pour défiscaliser, il faut avoir des activités qui je suis en train de perdre le fil de mon idée. Il y a un moment, il y avait quand même une grosse contradiction. Si tu es d'intérêt général ,tu ne fais pas de plaidoyer et donc du coup, tu as droit à des subventions. Mais ça ne sert pas à grand chose d'avoir cette défiscalisation. Et de l'autre côté, si tu n'as pas de subvention parce que justement, tu veux faire du plaidoyer, tu veux être indépendant, tu es militant. Tu n'as pas le droit à la défiscalisation des dons. Donc, en fait, ça veut dire qu'il y en a un, il peut avoir tout, mais il en a pas besoin et il a le droit à rien, mais il en aurait besoin.
Yaël Myriam, ça n'a pas l'air d'être une contrainte, le fait que vous ayez pas de statut d'intérêt général pour les donateurs. Au contraire.
Myriam A priori, nous, c'est affiché sur notre site. Le site par lequel on peut faire des dons à la Quadrature. Dans la FAQ, on écrit bien effectivement que les dons ne sont pas déductibles des impôts. Il y a plein de gens qui ne vont pas la lire, donc on reçoit de temps en temps des mails de gens qui nous demandent un reçu fiscal. On leur répond gentiment que non, on n'a pas obtenu la possibilité de le faire de la part des services fiscaux. On leur propose systématiquement de leur rembourser leurs dons parce qu'il y a des gens qui donnent aussi, parce qu'il y a cet avantage là pour eux. Et je dirais que quasiment dans 100% des cas, les gens vont répondre "non, non, ce n'est pas un souci, on ne fait pas ça pour les impôts, on fait ça pour vous soutenir". Je ne sais pas. Peut-être que comme on n'a pas vraiment d'idée du public qui donne à la quadrature, c'est difficile à le savoir vraiment. Mais je pense que si la quadrature avait la possibilité de déductibilité des dons, je ne suis pas sûr que ça changerait fondamentalement les sommes perçues, sachant qu'en plus, beaucoup de gens donnent 5 euros 10 euros, c'est pas forcément des grosses sommes, donc ça ne va pas jouer beaucoup, je pense. Et puis, il y en a aussi sûrement beaucoup qui ne payent pas d'impôts. Donc voilà, ça dépend un peu. Je pense que selon les associations et selon les profils. J'imagine que certaines grosses associations dont on entend beaucoup parler, ça les intéresse parce qu'ils ont des donateurs qui vont donner plus et qui sont intéressés. J'ai l'exemple d'une autre association pour laquelle je travaille, qui a décidé de délivrer des reçus fiscaux. Et ça n'a pas fondamentalement changé les recettes en terme de dons.
Yaël Par rapport au paradoxe que soulevait Karl, est-ce que, outre la défiscalisation des dons, tu penses que ça pourrait vous donner plus de légitimité par rapport aux institutions? Parce vous avez cette particularité à être parfois au Parlement, à l'Assemblée nationale, à être dans des institutions juridiques pour faire des recours. Du coup, pour vous, pour le moment, ça ne joue pas sur un espèce de manque de légitimité ou manque de reconnaissance ?
Myriam Non, ça joue pas vraiment, parce fait la légitimité, la reconnaissance, on l'a notamment par notre expertise. Et puis, il faut être honnête, comme c'est quand même des concepts assez flou dans la tête de la plupart des gens. La plupart des gens pensent que la quadrature est d'intérêt général. Parce que la notion d'intérêt général dans la tête des gens n'est pas très, très claire. Donc c'est vrai que le point qu'a fait Mathieu est vraiment intéressant là dessus parce qu'on s'aperçoit que c'est beaucoup plus compliqué. Mais dans la tête de la plupart des gens, la quadrature est d'intérêt général. En termes plus philosophique. En fait, c'est presque ça.
Yaël C'est vrai que généralement quand tu écris loi 1901, souvent tu as envie d'écrire derrière d'intérêt général. Il y a un petit côté, c'est le paquet tout en un. En fait, du coup, on a appris que non.
Mathieu Ça peut être aussi un plaidoyer à mener par des associations du monde associatif, etc. Pour élargir le spectre. Je sais que récemment, on a intégré notamment les actions en faveur de l'environnement qui n'étaient pas reconnus avant. C'est dans l'air du temps. Est-ce que les libertés numériques aussi peuvent être un sujet? Parce que sinon, c'est avec le mot plaidoyer. On peut comprendre... Le fisc qui pourrait dire dans ce cas là, Total qui fait du lobbying, c'est pareil. C'est du plaidoyer. Par contre si on focalise sur l'objet défendu. Je pense que là, il y aurait matière
Myriam C'est possible que les choses bougent.
Mathieu L'intérêt général au sens plein du terme.
Yaël Super. Merci beaucoup. C'était hyper riche. Merci Myriam de nous avoir accompagné, d'avoir été avec nous pour nous livrer le témoignage de la Quadrature du Net sur ces questions. Merci à Mathieu, de nous avoir éclairé de ton expertise sur les questions d'utilité publique, intérêt général, mécénat, dons. C'est toujours avec plaisir qu'on te reçoit sur ce plateau. Et merci, bien sûr, à toutes et tous de nous avoir écouté. On espère que cet épisode a surtout été utile. Si jamais vous avez un témoignage, des retours, des choses que vous avez vécues, qui sont peut-être proches de ce qu'on a dit ou même peut être des sujets que vous aimeriez particulièrement traiter ou en tout cas écouter dans ce podcast, n'hésitez pas à nous écrire à notre adresse mail hello at questions-asso.com Et de toute façon, vous retrouvez toutes les infos sur notre site Internet. Vous pouvez vous abonner à notre newsletter. Vous pouvez vous inscrire sur toutes les plateformes de podcasts Apple Music, Google Podcasts, Deezer, Soundcloud, Spotify. Vous pouvez retrouver toutes les ressources sur notre site Web. Il y aura encore une fois une version textuelle. Cet épisode a été réalisé avec le soutien de la MAIF. Et aujourd'hui, c'est Guillaume Desjardin de SynchroneTV qui était à la réalisation. Et la jolie musique que vous allez entendre est une musique de Sound of Nowhere. N'hésitez pas à regarder ses autres morceaux. Merci de nous avoir écouté. Et rendez-vous le mois prochain pour un nouvel épisode de Questions d'Asso, qui sera cette fois-ci sur la question de la souffrance au travail dans les milieux militants.