À propos de l'épisode
Cette question de la valorisation du temps bénévole, vous vous l’êtes nécessairement posée, si vous êtes dirigeant d’une association. Avant de parler du temps bénévole, rappelons déjà ce qu’est le bénévolat. Selon le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, le bénévolat se caractérise sur un plan comptable - on voit déjà qu’on va parler gros sous - comme “une contribution volontaire en nature qui est, par principe, sans contrepartie.” Le bénévolat s’oppose donc au salariat sur 2 points :
- Il n’est pas rémunéré, ne fait pas l’objet de contreparties ;
- Le bénévole ne reçoit ni instruction ni sanction de la part de ses encadrants au sein de la structure associative.
Par principe, le bénévolat est donc un don, de soi, de ses compétences, de son relationnel, mais surtout : de son temps.
Comme le bénévolat ne répond pas aux mesures classiques du salariat telles que la masse salariale, ou le chiffre d'affaires, d’autres moyens doivent être trouvés pour l’estimer, le mesurer. C’est donc le temps qui devient la métrique. Nous allons compter le temps donné par les bénévoles pour estimer une forme de production de valeur associative.
Alors pourquoi est-ce si important de mesurer ce temps de bénévolat ? Est-ce une obligation légale de faire entrer le bénévolat dans une logique gestionnaire. Qu’est-ce que ça apporte à la vision comptable de l’association ?
Selon le ministère de la vie associative, déclarer le temps de bénévolat est notamment obligatoire pour toutes les associations qui reçoivent des subventions. Et évidemment, ça fait pendant à notre premier épisode qui était consacré précisément à cette question de la subvention.
En ce sens, la valorisation du temps bénévole apparaît au plan comptable notamment comme une garantie de la non-lucrativité de l’association. Là-encore, on rejoint les sujets que l’on a discutés lors du premier épisode. En effet, en montrant que l’on a donné un nombre conséquent d’heures de bénévolat - donc non rémunérées, on accrédite l’idée que la gestion de l’association se fait à titre désintéressé.
Alors est-ce que la valorisation du temps bénévole n’a qu’un objectif strictement comptable, gestionnaire ? De fait, les arguments avancés à la valorisation du temps bénévole sont principalement comptables, oui. Mais il existe d’autres arguments qui ont cette fois-ci trait à la gestion du projet de l’association. Le ministère de la vie associative liste ainsi un certain nombre de “bonnes raisons” de mesurer le temps bénévole :
- avoir une meilleure vision des ressources de l’association, en ne s’arrêtant pas à ses actifs classiques. Ce qui permet d’en améliorer la gestion mais également d’en rendre compte le cas échéant aux différents financeurs de l’association ;
- appréhender le coût réel du projet associatif, notamment si l’on devait substituer au bénévolat du salariat classique ou de mesurer la proportionnalité des dépenses de l’association à sa masse bénévole ;
- ou sensibiliser au sein de l’association et en externe à la fragilité de cette ressource bénévole et au fait qu’il faut l’entretenir, la motiver.
On vous met dans les ressources de cet épisode le lien vers la fiche d’information du ministère qui récapitule ces différentes bonnes raisons.
Donc la valorisation du temps bénévole est assez largement conseillée pour les associations, en tout cas pour les associations qui ont des liens avec l’Etat et ses collectivités, notamment en matière de subvention, ou alors des associations qui souhaitent optimiser leur gestion.
On va avoir l’occasion de discuter de la mise en œuvre de cette valorisation du temps bénévole tout au long de cet épisode, mais précisons peut-être pour celles et ceux qui nous écoutent qu’au plan des outils, certains logiciels commencent à apparaître pour faciliter cette valorisation. Et on peut citer notamment Bénévalibre, porté par le CRAJEP (Comité Régional des Associations de Jeunesse et d’Education Populaire) de Bourgogne-Franche-Comté.
Mais tout cela amène à une vision très utilitariste du bénévolat. Est-ce que derrière ça ne remet pas en cause le sens même de l’engagement bénévole ? Mesurer une action qui est par définition un don, est-ce que ça ne revient à la dénaturer, n’est-ce pas contre-productif ?
Maintenant que nous avons posé les bases de ce que recouvre la valorisation du temps bénévole, nous en arrivons à la partie plus réflexive / critique sur le sens même de cette démarche.
Mesurer le temps d’un acte qui est un don et qui se fait précisément et volontairement en dehors d’un contexte salarial ou entrepreneurial classique, ça pose question. D’ailleurs, au sein de ma propre association, c’est sujet à débat, et je pense ne trahir personne, voire même refléter une situation courante, en précisant que certains traînent beaucoup des pieds lorsqu’il s’agit de déclarer son temps de bénévolat, en considérant justement que ça pervertit le sens de l’action associative et que l’on y ramène des logiques extra-associatives qui n’y ont pas leur place. Pour ces personnes, mesurer le temps qu’elles donnent bénévolement change la perception qu’elles ont de ce don.
Autrement dit, est-ce que le bénévolat en est toujours s’il est mesuré ? Est-ce que ça ne revient pas à installer une machine à badger au sein de l’association qui dénaturerait la démarche du don, voire démotiverait certaines bonnes volontés ? C’est indéniablement un sujet, surtout lorsque la frontière entre le bénévolat et le travail salarié devient floue. C’est par exemple le cas pour les personnes qui s‘investissent sur des projets bénévoles mais qui peuvent en retirer un bénéfice professionnel tel qu’un réseau ou des compétences. C’est également le cas pour les actions bénévoles qui relèvent clairement de la compétence professionnelle, par exemple, si vous êtes comptable et que vous assurez bénévolement la comptabilité d’une association dont vous êtes membre. Déclarer le temps que l’on passe à travailler bénévolement vient d’autant plus brouiller cette frontière qu’il s’agit d’un acte relevant traditionnellement de l’emploi salarié.
Tout ça fait complètement écho aux travaux du sociologue et économiste Bernard Friot. Friot prend l’exemple d’une activité assez simple : tondre sa pelouse. Si tu tonds ta pelouse le samedi sur ton temps libre, tu ne produits ni valeur ni richesse, c’est considéré socialement comme une activité de loisir. Si maintenant, tu es fonctionnaire ou contractuel et que tu tonds une pelouse pour une collectivité, là non plus ça ne va pas être considéré comme une création de richesse mais comme une dépense de l’argent public, et de l’argent du contribuable. Si en revanche, tu tonds la pelouse de quelqu’un pour le compte d’une entreprise, là, il est admis socialement que tu produits de la valeur et de la richesse. Et pourtant, c’est dans les trois cas, c’est la même activité, le même travail.
Quand est-ce que ça sort du loisir ou du bénévolat de tondre la pelouse ? Ce qui pose de fait la question de qu’est-ce qui a de la valeur et qu’est-ce qui n’en a pas ? Car, nous en parlerons avec Mathieu, tous les temps de bénévolat n’ont pas le même statut et ne sont pas valorisables de la même manière.
À l’inverse, rejeter toute forme de mesure du temps bénévole serait peu pertinent car cette mesure permet aussi de mieux comprendre le monde associatif. Déjà, pragmatiquement, déclarer le temps de bénévolat peut être une façon de le mettre en valeur. Là encore, c’est un élément que j’ai moi-même expérimenté dans mon association. Les temps déclarés par les bénévoles que l’on pourrait voir comme des “petites mains" de l’association, par exemple des personnes transcrivant les sous-titres de vidéo, étaient beaucoup plus importants que ce que j’avais imaginé, de mon point de vue de responsable associatif. Cette déclaration du temps me permet en tant que responsable d’être plus attentif au don de temps des bénévoles de l’association et d’être plus prévoyant à leur égard.
Ensuite, le fait de considérer le temps comme la métrique principale de l’investissement associatif se justifie par le fait que les enquêtes sur le bénévolat en France montrent que le temps est la principale ressource recherchée, avec la ressource financière, devant d’autres types de ressources tels que l’engagement des dirigeants associatifs, qui étonnamment dans les enquêtes auprès des associations n’est pas assimilé au temps de bénévolat.
Et cette métrique nous permet donc d’avoir des données sur l’investissement bénévole en France, notamment à travers une étude de 2010. Les chiffres sont un peu datés, mais ils permettent tout de même d’avoir des ordres de grandeur. En l’occurrence, l’étude a été réalisée par les économistes Édith Archambault et Lionel Prouteau.
Cette étude est très intéressante car elle nous montre déjà combien les méthodes de calcul varient autour du temps de bénévolat. Alors qu’il s’agit en théorie d’une métrique simple et universelle, eh bien, par exemple, selon si on laisse un bénévole définir lui-même les actions qui relèvent du bénévolat, par rapport à une étude qui définierait préalablement ce qui en relève ou pas, on obtient des différences très significatives de temps passé. Ainsi, Archambault et Prouteau montrent comment des études américaines de ce type, comparables mais qui divergent sur la méthodologie, donnent un volume horaire annuel moyen par bénévole pour l’une de 80 heures par an, et pour l’autre de 350 heures par an.
En ce qui concerne le poids économique du bénévolat en France, là encore, selon les méthodologies, les résultats sont radicalement différents. Archambault et Prouteau expliquent que trois modes de calcul peuvent être définis pour connaître l’équivalent en termes de salaire du bénévolat associatif.
Tout d’abord, on peut faire comme ce que l’on fait dans la comptabilité française, c’est-à-dire valoriser les heures de bénévolat au SMIC. Ensuite, on peut également les valoriser selon le revenu moyen du pays. Et enfin, on peut les valoriser selon le montant que l’on paierait un professionnel pour effectuer la tâche accomplie par un bénévole, ce que l’on appelle un coût de remplacement.
Sachant qu’en France, il y avait environ 10 millions de bénévoles dans les années 2000, ce qui représente un nombre d’équivalents temps plein situé entre 720.000 et 950.000 ETP, les salaires imputés au bénévolat étaient de 14 Mds d’euros dans la première variante (celles du SMIC), de 21,4 Mds dans la seconde (celles du salaire moyen) et de 24,2 Mds dans la troisième (celle dite des coûts de remplacement, c’est-à-dire de la substitution par un professionnel). Soit un écart de 70% entre la version SMIC et la version coût de remplacement.
Pour donner des ordres de grandeur, en 2010, on estimait la masse salariale du secteur associatif à 29,4 Mds d’euros. Et donc pour finir sur cette étude, Archambault et Prouteau montrent que les estimations obtenues font apparaître que ce travail bénévole, en 2010, représente de 1 % à 2 % du PIB selon la méthode retenue, soit de 50 % environ à 80 % des salaires bruts versés par les associations à leurs salariés et, en tout état de cause, bien plus que les dons monétaires.
Donc contrairement à ce qu’on disait de manière intuitive en introduction de ce podcast, en fait, le monde associatif repose autant sinon plus sur le salariat que sur le bénévolat ! On a vu dans le premier épisode que la masse salariale du secteur associatif était en train de fondre, alors faut-il comprendre la valorisation du temps bénévole comme un élément de professionnalisation des asso (dans le sens où la comptabilisation du temps amène bien souvent à une réflexion sur sa gestion) ? Quel lien entre temps, bénévolat et salariat ? Que faire de ce temps de bénévolat, comment le déclarer, comment l’utiliser, comment le dépasser, ce sont les questions qu’on a souhaité poser dans cet épisode à Benjamin, de l’association La Myne.